mardi 2 février 2010

Un ennui sérieux


Le cinéma est une invention géniale, la seule qui nécessite qu’on paye pour se faire chier. Dans mon enfance, il m’arrivait assez souvent de m’ennuyer, mais c’était gratuit. C’était même obligatoire, jusqu’à l’âge de 16 ans. Je me souviens bien que l’un des enjeux de l’âge adulte, pour moi, c’était la liberté, la liberté de faire ce que je voulais et surtout celle de ne pas faire ce que je ne voulais pas, c'est-à-dire l’impossibilité de l’ennui. Je m’ennuyais à l’école et elle était obligatoire : comme les adultes n’avaient pas ce genre d’obligation, je pensais qu’ils ne s’ennuyaient jamais. Bien sûr, je me trompais. Quoi qu’on imagine quand on est gosse, il existe bel et bien des moments et même des périodes assez longues où l’on s’ennuie, et dont on ne sort pas comme on veut, tout adulte libre qu’on soit. C’est ce qui m’est arrivé ce soir : je suis allé voir A serious man, le dernier film ennuyeux des frères Coen.
Malgré tous ses défauts, le cinéma a quand même des qualités indéniables, notamment celle de savoir renouveler les façons de s’y emmerder. Quand on y pense, ce n’est pas si facile. On est tous comme ça, on croit avoir tout vu en matière d’œuvre chiante, on croit tout connaître du soporifique, on pense qu’un film assommant est semblable à un autre et puis voilà que les frères Coen sortent un nouveau film, et l’on découvre qu’on peut s’emmerder d’une façon originale. Renouveler les formes possibles de l’ennui est l’apanage des grands réalisateurs.
Comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire, le piège principal qui menace un cinéaste, c’est de se croire plus intelligent que ses spectateurs. C’est ce qui est en train d’arriver aux frangins. Comme ils ont compris que leur style plait, ils croient qu’ils vont pouvoir en faire la caricature ad libitum et qu’on fera semblant de ne rien remarquer. Comme ils ont un peuple de fans réjouis, dont je suis, ils escomptent qu’on leur passera tout, y compris de mauvais films, et ils n’ont pas tout à fait tort, d’ailleurs : on entend ou on lit souvent qu’un mauvais film des Coen, c’est encore un bon film par rapport à d’autres. C’est une connerie comme seuls les fans réjouis ont le front d’en faire. Je m’en garderais bien.
A serious man n’est ni une comédie ni une tragédie ni une dramatique, c’est un film raté. Il ne distrait pas, ne fait pas rire, ni réfléchir, ni penser, il n’évoque rien, n’apporte rien, ne renouvelle rien, ne fait pas plaisir à voir, il s’étale comme un restant de beurre allégé dont on essaye vainement de couvrir une tartine trop vaste. Contrairement à la tradition, il est recommandé de ne pas aller pisser avant la projection : avec un peu de chance, l’envie vous en prendra au milieu du film, vous donnant enfin un semblant de frisson, réveillant enfin une partie de votre corps engourdi. La seule aventure possible.
L’histoire est simple : un mec, parfait trou du cul gentil avec ses voisins, gentil avec les rabbins, prof de maths (oui, le parfait trou du cul), incapable d’avoir la moindre autorité sur qui que ce soit, voit sa vie partir en couilles quand sa femme décide de le quitter. S’en suivront une série de micros événements qui renforceront encore l’incapacité à agir de ce triste sire.
Pour mener leur récit à bien, les Coen ne reculent devant aucun cliché, ni devant aucune auto imitation : on a droit, successivement et dans le désordre :
1) Au coup des enfants adolescents du héros qui ne sont qu’égocentrisme niais et bruyant. L’un fume de la beuh et l’autre ne pense que coiffure et rhinoplastie (j’ai l’impression que c’est un détail qui est pompé sans vergogne d’un vieux Woody Allen). Les adolescents, dans les comédies navet, font toujours irruption dans le champ de la caméra en se disputant ou en récriminant. Je décrète solennellement que tout film se permettant encore ce cliché est définitivement raté, et que son auteur sera maudit à jamais.
2) Au coup des acteurs moches. C’est une spécialité des Coen, depuis leurs débuts. Leur science du casting fait des merveilles, et ils sont toujours capables de nous sortir des tronches invraisemblables dont on se demande où ils vont les chercher. Dans A serious man, ça ne loupe pas, nous avons notre lot de mochetés filmées en contre plongée, de paquets de rides et de gros plans sur des plis graisseux. Evidemment, après quinze films, ça ne suffit plus, ras le bol !
3) Au coup des dialogues absurdes. On se souvient tous avec émotion des dialogues hilarants de connerie dans Fargo, ce film à la fois atroce et drôle qui semble avoir été fait il y a mille ans. A serious man remet le couvert, mais ça ne prend plus, l’absurdité semble forcée, les silences ne signifient plus rien, ils pèsent de tout leur poids, ils écrasent la mécanique. Le héros médiocre de ce film qui l’est encore plus va chercher des explications à son désordre familial auprès de rabbins tous plus nuls les uns que les autres. Encore un immense cliché qu’on voit venir de loin, le coup du bigot bon teint qui ne trouve aucun secours auprès de ses guides traditionnels, tournés évidemment en ridicule.
4) Au coup du voisin zarbi. Dans cette communauté qui semble exclusivement juive, deux personnages font exception : un élève coréen qui cherche à corrompre le héros pour obtenir une bonne note, et un voisin américain 100% pur beurre, évidemment raciste, qui joue au baseball avec son fiston, chasse et rapporte son gibier sanguinolent ficelé à même le toit du gros break familial, et empiète en hypocrite sur la pelouse du héros. Un détail qu’on n’attendait pas du tout : ce voisin a toutes les apparences d’un abruti irrécupérable.
5) Au coup de la cérémonie guindée (bar-mitsva du fils) et hyper codifiée, mais que le principal intéressé vit en état d’hallucination totale. Le fils, devine un peu, a fumé un putain de joint avant d’y aller, et c’est trop marrant comme il voit double !!!
Fermez le ban.
Après le calamiteux Burn after reading, il serait peut-être temps de se rendre à l’évidence : les frères Coen sont susceptibles de rater totalement un film, ils sont même capables d’en rater deux de suite. Autre révélation : un mauvais film des Coen reste un mauvais film, tout aussi mauvais qu’un mauvais film d’un mauvais réalisateur.