lundi 17 octobre 2011
Nabe, cet enculé.
Le terrorisme moderne s’appuie sur deux piliers : la stratégie du faible au fort et la scandalisation. Il s’agit de produire des actes qui coûtent peu mais que leur aspect scandaleux (terrible) démultiplie ; agir non plus en recherchant l’efficacité matérielle, mais la puissance de destruction psychologique. Le terroriste moderne peut être un va-nu-pieds, un affamé, un éjaculateur précoce, il peut utiliser des armes archaïques et même s’en servir comme un con, il garde quand même la puissance de ceux qui frappent n’importe où, sans égard pour la bonne conduite. Le terroriste moderne est un enculé.
Marc-Edouard Nabe a maintenant plus d’un quart de siècle de mauvaises manières derrière lui. En publiant son dernier livre, l’Enculé, il démontre qu’il n’a rien perdu de la détestable habitude de se faire détester. Comme un terroriste, il frappe avec ses petits moyens « anti-édités », sans publicité, sans plateau télé, mais avec la capacité de nuisance d’un fanatique. Il ne se bat plus, il salafise !
Ayant abondamment déféqué, jadis, sur les petits cons du marketing et de la pub, Marc-Edouard Nabe montre pourtant en ces deux domaines un talent de première catégorie. Ainsi, avec un sens de l’opportunisme proctérien, il surfe sur l’actualité la plus colossale de l’année en sortant ces jours-ci le premier roman sur l’affaire Strauss-Kahn (l’Enculé du titre, c’est lui). Et avant tout le monde ! Alors que les américains en sont encore à courir après l’actu en tournant de pauvres fictions sur-maquillées, sur-jouées et sur-exposées, le Nabe se fend d’un roman taillé sur la bête encore chaude, un roman à la première personne, qui nous fait vivre « ce qui s’est réellement passé dans la chambre 2806 du Sofitel blablabla », et le reste de la saga. Autant le dire tout de suite, ce roman est monstrueux.
Depuis son Journal, en passant par Lucette, Je suis mort, Alain Zannini et finalement le reste de son œuvre, Nabe pompe la part romanesque contenue dans la réalité. Il brasse les faits, les gestes et les personnages de sa vie pour en sortir une grande salade littéraire. A coups de parti pris, d’interprétation, d’hénaurme subjectivité, d’une mauvaise foi biblique, il s’appuie sur le vrai pour produire de l’encore plus vrai, littéraire cette fois. La moulinette nabienne moud ainsi la grande Histoire et les ragots germanopratins, les péripéties de sa propre existence et celles de ses proches pour étaler en pages incroyables les choses les plus crues, et inversement. S’il y avait donc un écrivain français susceptible d’écrire sur l’affaire DSK encore fumante, c’était bien lui.
Par un auto-retournement typique de son style, il met ses personnages « fictifs » en situation de lire ce que lui-même est justement en train d’écrire sur eux (je sais pas si vous m’suivez).
Page 74, ce dialogue entre Anne Sinclair et DSK, en forme d’auto avertissement :
« - Nabe est une petite ordure, comme disait Simone Signoret.
- Tu exagères ! Son « antiédition », c’est une sacrée trouvaille commerciale ! Crois-moi, c’est l’économiste qui te le dit. Et puis moi, il me plaît, je l’ai croisé une fois, au Baron de la grande époque, il est très sympathique.
- Antisémite !
- Qui, lui ou moi ?
- Vous deux !... Rachel aussi l’aime bien, ce Nabe… Je ne sais pas ce qu’elle lui trouve. En tout cas, qu’il ne s’avise pas d’écrire sur ton affaire. Sinon, je lui fous un procès au cul ! »
Pas besoin d’atteindre la page 74 pour se rendre compte que Nabe a raison de se méfier du modèle de son personnage Anne Sinclair : ça sent le procès à plein nez. Entre la scène détaillée de viol du Sofitel, les tribulations de DSK, les considérations innombrables sur le réseau des amitiés juives, l’obsession sioniste de Sinclair, la sodomie live de cette dernière, les chants nazis préférés à la musique Klezmer, les attaques personnelles contre à peu près tout le monde (via le personnage de DSK – finalement assez bonhomme), les blagues sur la Shoah, Martine Aubry transformée en chienne, et les charges au cutter contre les phares médiatiques de notre époque, tout est en place pour le plus gros procès de la rentrée littéraire. A une époque où un Vincent Peillon compare Aubry à Marine Le Pen (sous-entendu : les heures les plus soires de notre histombre), simplement parce qu’elle a parlé de Hollande comme le « candidat du système », il est écrit que Nabe aura non seulement son procès au cul, mais peut-être bien pire. En bon terroriste, c’est probablement ce qu’il souhaite.
Dire que Nabe met les pieds dans le plat le serait atrocement, plat. Il plonge carrément son cul dans la soupière, pas moins ! Et sans slip ! Le mot « juif » est de toutes les pages, ou presque, comme pour indiquer au futur plaignant où il faudra trancher : suivre les pointillés... Même s’il ne donne pas d’explication en tant que narrateur, ses personnages sont menés et définis par une logique ethno tribale du plus mauvais effet, à l’heure du vivre-ensemble citoyen, obligatoire et remboursé par la Sécu. Simplisme de caricaturiste. Et c’est bien cela, l’Enculé, une charge, une caricature, un pamphlet qui sent la pourriture et la haine, la lutte à mort, un désir de l’irréconciliable.
Nabe travaille au corps ces personnages publics devenus tellement indignes qu’ils ont perdu partout le respect que leur « réussite » inspire. Il nous donne sa version du drame, très grossière, peut-être un poil en dessous de la réalité, cependant, quoi qu’il pense de son pouvoir sur celle-ci. Tout ça donne un roman mal léché, écrit au rythme de l’actualité – ce spasme infini, monstrueux d’ignominies en tous genres, comme un écho à ce que la France a pu dire, dans le feu des conversations de bistrot, de bureau ou de couloir, sur l’affaire de ce dernier printemps.
Nabe écrit en musicien. Il transpose l'atroce un ton au dessus.
Au sens propre, il exagère