mercredi 2 novembre 2011
Les transgresseurs mis à nus par leurs apologistes mêmes
En ce moment même, mes chers concitoyens, tandis que vous dormez sur vos vastes oreilles de sourds, la bête immonde rôde autour de la civilisation et fait peser sur cette partie du globe une menace qui rappelle les heures les plus soirs de notre histombre.
Des intégristes catholiques ont perturbé une pièce de Roméo Castellucci, variation scatologique sur le visage du Fils de Dieu. Attention, je précise que n’ayant pas vu la pièce et n’ayant aucun désir de la voir, je ne porterai ici aucun jugement sur cette merde ! Que ce soit bien clair : on ne badine pas avec la déontologie chez Beboper !
Il y a bien plus amusant à faire, par exemple écouter comment France culture relate la chose.
(cliquer ici pour écouter)
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Le 24 octobre 2011, dans l’émission La dispute, d’Arnaud Laporte, une présentation des échauffourées nous est impartialement faite. Le chroniqueur Antoine Guillot évoque le courageux dramaturge, champion de la transgression, comme de juste. A l’heure où même les chanteuses de variété française renversent les tabous, où un animateur télé peut-être « dérangeant », où un T-shirt est « subversif », où un billet d’avion est « révolutionnaire et où ma boulangère « déplace les lignes », il serait étonnant qu’un artiste subventionné par l’Etat ne soit pas, au minimum, transgressif. Passons.
Le Guillot raconte donc l’histoire des perturbations cathos et évoque une autre pièce «dérangeante », Golgotha Picnic , de Rodrigo Garcia, bientôt donnée à Paris, et qui risque d’être à son tour attaquée ! A cette occasion, Rodrigo Garcia est présenté comme un artiste…devinez quoi : transgressif ! Bigre, encore un !!
On apprend même qu’il « bouscule protocoles et tabous » et que « les vociférations et images chocs sont ici assumées ». Bien...
Jusqu’ici, me direz-vous, nous sommes dans la parole ordinaire de l’élite cuculturelle, bien dans son rôle, ma foi, quand elle défend les artistes (surtout les transgressifs subventionnés) contre ces connards de Cathos. Mais là où la chose prend un tour cocasse, impayable et pour tout dire murrayien, c’est quand Joëlle Gayot, qui anime une autre émission sur France Culture, se fend de son commentaire outragé. Elle crie au scandale devant ces groupes qui « participent de l’extrême » et « qui n’ont plus de surmoi » et qui « au grand jour, se permettent d’intervenir sur tel ou tel artiste ». En trois mots, cette inepte reproche aux Cathos ce qu'elle applaudissait chez Castellucci. Extrême, sans tabous (plus de surmoi) et qui se permet d’intervenir sur tel ou tel Dieu, c’est bien le portrait que son collègue Guillot venait de faire du Roméo ! Elle se prend les pieds dans le tapis. La transgression oui, mais pas touche à mon théâtre subventionné ! Les tabous c’est caca, mais respecte mon statut ! La religion, je lui piétine la face mais j’appelle les flics si tu n’es pas d’accord. Ha, les braves…
Ce qui est beau, dans cette bouffonnerie, c’est de voir des usurpateurs pris à leur propre piège. De courageux compisseurs du Christ en 2011 (alors qu’il est mort depuis 1882) ressassent des attaques contre un ennemi déjà en putréfaction. La charogne a fini de puer depuis un siècle qu’ils en sont encore aux insultes. Leurs excès de retardataires sont tout désignés pour soulever le cœur de quelques nonagénaires, au mieux de quelques scouts. Mais dès que ces artistes "radicaux" trouvent en face d'eux des cathos tout aussi radicaux, on crie pouce ! On veut bien être radical, mais tout seul ! C’est à devenir fou : si l’on veut soutenir la transgression comme valeur, faut-il tresser des couronnes à un Castellucci, ou adhérer au combat des cathos intégristes qui « participent de l’extrême », selon le mot immortel de la Gayot ? L’un transgresse un tabou depuis longtemps tombé au sol. Les autres transgressent le tabou de l’artiste contemporain, supposé libre de clamer sa vérité tout en exigeant un désert critique. Faut-il applaudir l’esprit libre de Rodrigo Garcia qui " bouscule protocoles et tabous ", ou celui des scouts à cheveux courts qui n’ont carrément « plus de surmoi » ? Et, ce faisant, n’ont-ils pas atteint le nirvana contemporain que tout artiste cherche, le moment où le surmoi étant dépassé, enfin libre, on défonce les conventions bourgeoises ?
Quand Voltaire défendait Callas, il prenait des risques. Il ne combattait pas l’Inquisition pour obtenir un bon papier dans les Inrock, ni une chronique hagiographique sur France Culture. Les artistes contemporains pourraient tout à fait décider de ne pas se ranger dans la tradition voltairienne, mais voilà, il semble que la transgression et le combat militant soient devenus l’alpha et l’oméga de toute création. Eh bien, qu’ils transgressent vraiment, qu’ils se battent contre des dangers réels, et qu’ils laissent tranquille ce pauvre Christ auquel plus personne ne croit, puisque plus personne n’est prêt à mourir ni à tuer pour lui. Au lieu de chercher des poux dans la dépouille momifiée de la morale chrétienne, dont tout le monde se cogne depuis un siècle au moins, pourquoi aucun théâtre subventionné ne se penche-t-il, par exemple, sur les implications psychosociales du personnage d’AÏcha, troisième épouse et favorite de Mahomet ? La tradition nous rapporte des choses bien étranges sur ce modèle d’union proposé aux croyants : épousée à six ans, devenue femme à neuf… (Références ici)
Qu'attendent donc les transgresseurs ? L'autorisation de leur ministre de tutelle ?