Il y a quelques jours, me promenant dans les rues d’Avignon pendant son festival, j’ai vécu l’expérience troublante de pouvoir poser le regard non seulement sur les femmes qui y déambulaient, mais aussi, quelquefois, directement sur la raie de leurs culs. En tant que citoyen moyen, je me suis dit que je tenais là un privilège jadis réservé aux conquérants.
Détaillons la chose et tâchons d’être précis : les exhibitions fessières sont le fait des femmes jeunes, parfois des très jeunes filles. Les femmes plus mûres, moins soumises à la compétition sexuelle que le libéralisme des mœurs répand partout, restent assez discrètes. Pour l’instant. Ou peut-être luttent-elles avec d’autres armes, plus à leur main ? Depuis quelques années, les premiers jours de soleil semblent libérer une fureur exhibitoire qui prend chaque printemps un tour nouveau, et chaque fois une intensité plus forte. Un esprit mesuré comme le mien n’ose plus se demander « jusqu’où iront-elles ? », de peur d’entrevoir mentalement les réponses, et de finir à l’asile.
Si les années 1990 furent celles d’un retour des robes à fleurs, légères, printanières, campagnardes et bigrement suggestives, robes qui rappelaient les images des jeunes femmes de 1945, la donne a radicalement changé depuis l’irruption du tatouage, du piercing et l’abandon consécutif de presque toute pudeur corporelle. Mécaniquement, la sotte donnant beaucoup de prix au tatouage qu’elle s’est fait faire sur la hanche, elle ne résistera pas à l’envie de le montrer, dévoilant par conséquent une partie d’elle-même habituellement cachée. Et comme l’esthétique des films de boules trouve dans la population jeune des réceptacles enthousiastes, le tatouage féminin se porte dorénavant au creux des reins, sur le précipice pubien et bientôt peut-être, au beau milieu du fion. D’où la rage de tout montrer que l’on constate.
Pour tout homme normal, c'est-à-dire pas encore blasé, non moderne, le spectacle de sillons fessiers inconnus est une torture. C’est d’abord une torture physique de nature sexuelle, une stimulation qui ne sera jamais suivie d’effet. Une femme t’expose la raie de son cul sous la moustache, ouvrant les vannes de la testostérone dans ton froc, mais sous la surveillance zélée de la Loi : pas touche ! Charme de la liberté d’aujourd’hui, toute tentation est légitime, toute consommation se paie cher. L’Antiquité, très au fait de la physiologie humaine, qualifiait au moins la technique de Tantale de supplice. C’est aussi par conséquent une torture morale, au sens où l’homme-spectateur-involontaire se voit rabaissé au rang du petit garçon dans un magasin de jouets, exposé à une offre toujours plus agressive sans avoir le moyen de participer réellement à la fête.
Sur une petite place remplie de monde, où l’on buvait une bière à l’ombre des platanes, quatre pimbêches à raies publiques passent entre les tables, à la recherche d’une place libre où poser leurs derches. Littéralement, les gens attablés se retrouvent avec un quatuor de culs presque nus au niveau du pif. Soudain, j’entends une de ces garces dire aux trois autres « c’est bon, ça me soule, y’en a qui matent ! ». S’ensuit une brève engueulade avec un des occupants d’une table, à qui l’une des filles annonce « c’est pas dans tes moyens, bouffon ». Elle parlait de son cul, après avoir parlé avec. Drôle en soi, la scène devint instructive au moment où l’une menace « d’appeler les flics, putain » si les regards du genre humain ne cessent pas immédiatement de se poser sur ce qu’elle montre pourtant avec ostentation.
Plus encore qu'un narcissisme débridé, c’est la schizophrénie de notre époque qui s’étale ici. Schizophrénie du système qui donne la liberté de montrer (au nom de quoi l’interdirions-nous ?) et qui traque comme jamais celui qui regarde, celui qui commente, celui qui s’indigne. L’actualité parlementaire nous a averti que la loi sur le harcèlement sexuel est de nouveau opérationnelle, prête à servir. Les harceleurs sont prévenus, très bien. Mais qui prendra en compte les plaintes des gens ordinaires qui se considèrent harcelés par les adolescentes en débardeurs, les jeunes au nombril à l’air, aux hanches débordantes, ou celles qui déballent en public leur petit trésor culier ? Quelle cellule de soutien psychologique aidera les victimes des stimulations publicitaires, celles des unes de magazines, les gens agressés quand ils regardent un film réputé grand public avec leur grand-mère, et qu’apparaît subitement une paire de fesses en action, au milieu de gémissements surjoués ?
Notre situation s’apparente à la montée aux extrêmes de Clausewitz :
1) la liberté individuelle repousse sans cesse les limites de ce qui est permis,
2) après que la publicité et la mode ont fourni des modèles, le marché assure à chacun les moyens de faire ce qu’il veut (micro jupe, string, tatouage fessier, piercing vaginal)
3) le fond anthropologique de l’homme restant cependant le même, il se voit sans cesse contrainte de contrôler et retenir ses désirs, alors que tout vient en permanence les exciter
4) les partisans de la liberté, et surtout ses praticiens, réclament donc toujours plus de protection pour eux-mêmes, et de sanctions contre les salauds.
Nous en sommes même arrivés à ce qu’une apprentie ministre envisage d’abolir la prostitution dans un pays où le porno est illimité, gratuit et accessible en un clic sur Internet. Liberté des pornocrates et de leur impressionnant business ; sanction de l’utilisateur qui veut se faire faire une turlute, comme dans le film ! Quand on retrouve aussi souvent la schizophrénie dans un système, c’est qu’elle en est une perversion intrinsèque, comme celle qui consiste à autoriser la vente de véhicules dépassant le 200 km/h, en installant partout des radars tarés à 130…
Le libéralisme des mœurs offre énormément d’avantages. Il a aussi des inconvénients mais, pour des raisons de correction politique, il est interdit d’y faire allusion, sauf à dénoncer les cochons qui ne jouent pas selon les règles.
Une étudiante belge fait en ce moment parler d’elle avec un film présentant l’ignoble attitude de certains hommes à son égard, quand elle se promène par les rues de Bruxelles. Le film la montre victime d’insultes, d’insinuations, harcelée par des dizaines d’emmanchés en pleine rue. Les apostrophes sont tellement dégueulasses que beaucoup en viennent à douter de leur authenticité, et que ces choses-là n’arrivent pas en France. Ces choses-là arrivent, hélas, partout où il y a des hommes, des femmes, et de la frustration.
Entre les femmes qu’on agresse verbalement et les hommes qu’on excite incessamment, il ne reste bientôt plus de place pour la raison, pour un équilibre, une décence commune qui permettrait qu’on profite de l’incomparable spectacle des femmes, et qu’elles jouissent tranquillement d’être regardées, comme la nature les y dispose.
Détaillons la chose et tâchons d’être précis : les exhibitions fessières sont le fait des femmes jeunes, parfois des très jeunes filles. Les femmes plus mûres, moins soumises à la compétition sexuelle que le libéralisme des mœurs répand partout, restent assez discrètes. Pour l’instant. Ou peut-être luttent-elles avec d’autres armes, plus à leur main ? Depuis quelques années, les premiers jours de soleil semblent libérer une fureur exhibitoire qui prend chaque printemps un tour nouveau, et chaque fois une intensité plus forte. Un esprit mesuré comme le mien n’ose plus se demander « jusqu’où iront-elles ? », de peur d’entrevoir mentalement les réponses, et de finir à l’asile.
Si les années 1990 furent celles d’un retour des robes à fleurs, légères, printanières, campagnardes et bigrement suggestives, robes qui rappelaient les images des jeunes femmes de 1945, la donne a radicalement changé depuis l’irruption du tatouage, du piercing et l’abandon consécutif de presque toute pudeur corporelle. Mécaniquement, la sotte donnant beaucoup de prix au tatouage qu’elle s’est fait faire sur la hanche, elle ne résistera pas à l’envie de le montrer, dévoilant par conséquent une partie d’elle-même habituellement cachée. Et comme l’esthétique des films de boules trouve dans la population jeune des réceptacles enthousiastes, le tatouage féminin se porte dorénavant au creux des reins, sur le précipice pubien et bientôt peut-être, au beau milieu du fion. D’où la rage de tout montrer que l’on constate.
Pour tout homme normal, c'est-à-dire pas encore blasé, non moderne, le spectacle de sillons fessiers inconnus est une torture. C’est d’abord une torture physique de nature sexuelle, une stimulation qui ne sera jamais suivie d’effet. Une femme t’expose la raie de son cul sous la moustache, ouvrant les vannes de la testostérone dans ton froc, mais sous la surveillance zélée de la Loi : pas touche ! Charme de la liberté d’aujourd’hui, toute tentation est légitime, toute consommation se paie cher. L’Antiquité, très au fait de la physiologie humaine, qualifiait au moins la technique de Tantale de supplice. C’est aussi par conséquent une torture morale, au sens où l’homme-spectateur-involontaire se voit rabaissé au rang du petit garçon dans un magasin de jouets, exposé à une offre toujours plus agressive sans avoir le moyen de participer réellement à la fête.
Sur une petite place remplie de monde, où l’on buvait une bière à l’ombre des platanes, quatre pimbêches à raies publiques passent entre les tables, à la recherche d’une place libre où poser leurs derches. Littéralement, les gens attablés se retrouvent avec un quatuor de culs presque nus au niveau du pif. Soudain, j’entends une de ces garces dire aux trois autres « c’est bon, ça me soule, y’en a qui matent ! ». S’ensuit une brève engueulade avec un des occupants d’une table, à qui l’une des filles annonce « c’est pas dans tes moyens, bouffon ». Elle parlait de son cul, après avoir parlé avec. Drôle en soi, la scène devint instructive au moment où l’une menace « d’appeler les flics, putain » si les regards du genre humain ne cessent pas immédiatement de se poser sur ce qu’elle montre pourtant avec ostentation.
Plus encore qu'un narcissisme débridé, c’est la schizophrénie de notre époque qui s’étale ici. Schizophrénie du système qui donne la liberté de montrer (au nom de quoi l’interdirions-nous ?) et qui traque comme jamais celui qui regarde, celui qui commente, celui qui s’indigne. L’actualité parlementaire nous a averti que la loi sur le harcèlement sexuel est de nouveau opérationnelle, prête à servir. Les harceleurs sont prévenus, très bien. Mais qui prendra en compte les plaintes des gens ordinaires qui se considèrent harcelés par les adolescentes en débardeurs, les jeunes au nombril à l’air, aux hanches débordantes, ou celles qui déballent en public leur petit trésor culier ? Quelle cellule de soutien psychologique aidera les victimes des stimulations publicitaires, celles des unes de magazines, les gens agressés quand ils regardent un film réputé grand public avec leur grand-mère, et qu’apparaît subitement une paire de fesses en action, au milieu de gémissements surjoués ?
Notre situation s’apparente à la montée aux extrêmes de Clausewitz :
1) la liberté individuelle repousse sans cesse les limites de ce qui est permis,
2) après que la publicité et la mode ont fourni des modèles, le marché assure à chacun les moyens de faire ce qu’il veut (micro jupe, string, tatouage fessier, piercing vaginal)
3) le fond anthropologique de l’homme restant cependant le même, il se voit sans cesse contrainte de contrôler et retenir ses désirs, alors que tout vient en permanence les exciter
4) les partisans de la liberté, et surtout ses praticiens, réclament donc toujours plus de protection pour eux-mêmes, et de sanctions contre les salauds.
Nous en sommes même arrivés à ce qu’une apprentie ministre envisage d’abolir la prostitution dans un pays où le porno est illimité, gratuit et accessible en un clic sur Internet. Liberté des pornocrates et de leur impressionnant business ; sanction de l’utilisateur qui veut se faire faire une turlute, comme dans le film ! Quand on retrouve aussi souvent la schizophrénie dans un système, c’est qu’elle en est une perversion intrinsèque, comme celle qui consiste à autoriser la vente de véhicules dépassant le 200 km/h, en installant partout des radars tarés à 130…
Le libéralisme des mœurs offre énormément d’avantages. Il a aussi des inconvénients mais, pour des raisons de correction politique, il est interdit d’y faire allusion, sauf à dénoncer les cochons qui ne jouent pas selon les règles.
Une étudiante belge fait en ce moment parler d’elle avec un film présentant l’ignoble attitude de certains hommes à son égard, quand elle se promène par les rues de Bruxelles. Le film la montre victime d’insultes, d’insinuations, harcelée par des dizaines d’emmanchés en pleine rue. Les apostrophes sont tellement dégueulasses que beaucoup en viennent à douter de leur authenticité, et que ces choses-là n’arrivent pas en France. Ces choses-là arrivent, hélas, partout où il y a des hommes, des femmes, et de la frustration.
Entre les femmes qu’on agresse verbalement et les hommes qu’on excite incessamment, il ne reste bientôt plus de place pour la raison, pour un équilibre, une décence commune qui permettrait qu’on profite de l’incomparable spectacle des femmes, et qu’elles jouissent tranquillement d’être regardées, comme la nature les y dispose.