jeudi 3 janvier 2019

L'année 2018 n'a jamais existé.


Nous vivons des temps épuisants. Chaque jour apporte la confirmation qu’il est pire que le précédent, et que rien n’inversera plus la tendance. Chaque année, quand vient l’heure du bilan, il semble qu’un pas de plus a été fait dans la mauvaise direction. Toujours plus de précarité sociale, toujours plus d’Europe, toujours plus de normes, toujours plus d’interdits moralisants, toujours plus de droits opposables au monde entier, toujours plus d’Emmanuel Macron, toujours plus de pubs, de ronds-points, de chômage de masse, de loisirs mortifères, d’attentats, de « tout-numérique », de supermarchés, de télé-cauchemar, de violence ordinaire, de laideur proliférante, de mensonge médiatique, de vagues de misère/migrants, d’associations flicaillonnes, de séparatisme culturel, de guerre au vivant, de ceintures à serrer, de délires sociétaux, toujours plus d’informations, de smartphones, d’alertes-info, de flash-info, de connexions à haut débit et toujours plus d’ignorance.



Moi, ça fait plus de six mois que j’attends que 2018 se termine. C’est fait, et c’est pas trop tôt. J’ai beau chercher dans ma mémoire, je ne vois pas une seule raison de regretter cette année merdique, pas une seule. Mais si vous vous souvenez d’un truc bien, je suis preneur.
D’abord, il faut préciser que pour moi, une victoire sportive de l’équipe de France n’est pas une bonne nouvelle. Ce n’est pas non plus une mauvaise nouvelle, c’est juste une-nouvelle-que-j’en-ai-ranafoute. Les championnes de hand-ball qui jubilent, ça me fait autant plaisir que lorsque je vois des amibes se trémousser dans un tube à essai. Un skieur français qui skie plus vite qu’un autre, c’est juste un mec que j’adore parce qu’il finit son truc atroce plus rapidement, et disparait plus vite. On a un Français qu’est bon en judo, il casse la gueule à tout le monde pour la simple et bonne raison qu’il est plus fort. Mais il faudrait n’avoir vraiment rien à faire pour se farcir du judo, surtout du judo de poids lourds. C’est laid à mourir, les mecs se dépoilent, les kimonos partent en vrille, les gros culs sont exhibés sans retenue, la technique est annihilée par la puissance du muscle, ça tourne à l’affrontement de brontosaures. Notre champion championne donc dans le vide, personne n’ayant la patience de regarder deux morses bouffis se crêper le costard en traînant des pieds. Il paraît qu’on veut interdire le judo : je suis pour.

J’apprends à l’instant qu’il y aurait quelques sports où le Français excelle, des sports de tata comme le saut avec une perche, le tir à l’arc, le tir au cul et la conduite automobile au-delà des vitesses autorisées. Admettons. Mais en quoi ce genre de choses peut-il nous amener à conclure qu’une année fut bonne ? Tu peux faire du patinage artistique pendant douze heures et rafler cinquante médailles, tu restes un singe à paillettes qui tortille des miches comme un hémorroïdaire dérapant sur une flaque gelée, rien d’autre. Et la France ou ton équipe préférée peut bien gagner des médailles en flux continu, ça ne démerdifie pas l’année pour autant.

L’année 2018 fut merdique parce rien n’y sent l’espoir. Avec Trump, les Américains ont au moins pu croire que les choses allaient changer, d’où la panique absolue de ses opposants et les coups tordus qu’ils enchaînent sans vergogne. Mais nous, pauvres Français, que pouvons-nous espérer d’une nation morte, sur qui tout le monde s’essuie les pieds ? Les Ricains vont sans doute déchanter, et avec eux ceux qui jubilèrent, mais au moins auront-ils un peu frétillé avant la mort. Mais nous autres, qui nous fera jamais frétiller ? Qui nous sortira le cou de la gangue ? Qui s’attaquera aux choses dans cette nation qui fut révolutionnaire ?


Il est du meilleur ton de prétendre à la lucidité envers le « système », et du meilleur ton aussi de souhaiter une révolution, un changement radical, un arrêt de la course folle qui nous mène « dans le mur »… A l’heure de l’apéro, le quidam de type moyen vous sort de derrière les fagots son souci du réchauffement climatique, enchaîne sur l’explication REELLE de l’assassinat de Kennedy, fait un crochet par la crise des subprimes, pontifie un bon coup sur les banques-pas-gentilles, s’horrifie de l’incompétence des politiques (« de droite comme de gauche », trouve-t-il utile de préciser) et achève son premier porto en alertant les convives sur les OGM. Mais ça ne l’empêche pas de voter Macron et de vomir de rire si on lui parle, par exemple, de Brexit. L’Europe qui ne vit que pour la croissance et les multinationales, dans sa petite tête, ça s’imbrique sans problème avec le sauvetage de la planète… En passant, bien sûr, ce brave glissera deux remarques alarmistes sur Trump, sur Poutine, sur la Chine ou le Venezuela, enfin sur tout ce qui s’éloigne du type de régime que, trois minutes auparavant, il compissait. Parce que, quoiqu’il en dise, à toute chose, le quidam de type moyen préfère le régime qui lui permet de bouffer, de partir en week-end sans se prendre la tête et, par ailleurs, de geindre dans ses commentaires sur Youtube. Cette formule est bien moins angoissante que celle qui consisterait à seulement essayer autre chose. Comme on l’a dit, ce qui manque à la plupart des braves gens, c’est l’imagination. Après l’apéritif, toutefois, l’alcool ayant un peu désembué sa raison naufragée, il vous glissera qu’il ne comprend plus les gosses, ses propres gosses, qui jouent des pouces sur leur smartphone, sont cons comme des manches et ne lui disent même plus bonjour quand il rentre du taf. Il ne comprend pas mieux quelques collègues du bureau qui se sont laissé pousser une barbe de fou et refusent de serrer la main de leurs collègues féminines.

2018 n’a jamais eu lieu car il ne s’y est rien passé d’important, de décisif. Tout y a continué comme d’habitude, comme dans un film catastrophe dont on a trop tôt deviné la fin. Les Gilets jaunes ? C’est une forme de réaction aussi intéressante qu’illisible. Les Gilets jaunes sont sans doute un symptôme de ce qui va arriver de plus en plus souvent, et qui répond au doux nom d’ingouvernabilité. Pourquoi faudrait-il, d’ailleurs, que les gens vivant dans une démocratie qui ne tient plus ses promesses se laissent perpétuellement gouverner ? Certains s’affolent de ce que les Gilets jaunes, et bien d’autres avec eux, ne « croient plus en la parole politique ». Qu’il demeure des gens qui y croient encore m’affole bien plus. Mais que veulent les Gilets jaunes ? Personne ne peut le dire sans risque de se tromper. On entend qu’ils se plaignent de l’hystérie de la taxation systématique, de la boulimie de règles/normes/lois/emmerdements dont souffre le pays. On entend aussi qu’ils réclament plus de solidarité, plus d’aide (logement, chômage, transport, retraite, etc.), ce qui est contradictoire avec la première plainte. Contradiction d’ailleurs bien normale puisque les Gilets jaunes ne forment pas un mouvement structuré autour d’une doctrine savamment construite, mais incarnent plutôt une forme de désarroi devant ce qui arrive globalement au système dans lequel ils vivent, et nous vivons.

Les Gilets jaunes sont la répétition de ce qui arrive quand un pays se paupérise, quand l’économie, la politique, le climat, le futur, la vie en société ne produisent plus qu’angoisse, régression et violence, quand des masses importantes sont plus ou moins brutalement déclassées, quand les minorités humilient trop longtemps la majorité, quand le terrorisme devient banal, quand la mondialisation déferle non seulement sur les économies mais sur les consciences, sur les morales et sur ces cons de peuples. La violence commence à rencontrer une violence en opposition : en France post-miterrandienne, c’est nouveau. Il faut donc compter que, dans les années qui arrivent, l’emploi connaîtra une forte poussée dans les rangs policiers. Car, si les autorités ont depuis longtemps envisagé des scénarios impliquant des interventions militaires dans les banlieues, en réponse à des troubles plus forts que les précédents, personne n’avait pensé que le désarroi des gens ordinaires était au moins aussi dangereux (pour l'ordre) que les colères banlieusardes. Quant à la question de la remarquable non-participation (massive) des banlieues au mouvement des Gilets jaunes, c’est la meilleure de l’année : ça fait des années qu’on vous dit que la France compte désormais deux peuples différents, qui n'ont presque plus rien en commun, que l’Université et les médias ont tout fait pour opposer (innocence victimaire contre culpabilité protéiforme et ontologique), en voici simplement la preuve.

Personne n’a jamais rien attendu d’une élection européenne, du moins je l’espère. Mais il sera sans aucun doute intéressant d’observer les résultats de la prochaine : il se peut que l’année 2018, en fin de compte s’achève en beauté le 26 mai prochain…