mardi 22 octobre 2019

Brasse papillon contre militarisme turc.


Je n’avais jamais entendu parler du ministre français des sports avant l’affaire dite des enculades. Pour rappel, les enculades évoquées sont les promesses faites à la ligue de football professionnel par des supporters probablement en conflit idéologique avec elle. Idéologique, le mot est peut-être fort : en proclamant « la Ligue, on t’encule », les supporters en question n’avaient dévoilé ni le fond de leur pensée, ni le cheminement de leurs réflexions, et s’étaient contenté d’en formuler les conclusions. Admirable par sa concision, la formule laisse tout de même planer un doute quant à son réalisme : comment, en effet, enculer une Ligue de football, entité morale qui n’a, bien sûr, pas de corps, et qui n’est que représentée par de graves sexagénaires (dissuadant, par leur aspect et par leur mise, tout contact intime) ?
Pour l’observateur non spécialiste, il est clair que cette enculade n’était qu’une figure de style, et non, hélas, une mesure appelée à se réaliser sur la place publique. La Schiappa en avait fait une montagne, plus par habitude que par conviction : n’ayant, dit-on, qu’une connaissance théorique de l’art enculatoire, sa réaction ressortissait moins à l’indignation qu’aux réticences qu’on éprouve trop souvent face à l’altérité d’une tradition étrangère.

A cette occasion, le ministre des sports avait déclaré une connerie, micro-fait appelé à n’être pas distingué des autres conneries proférées par la gent ministérielle. Je crois qu’il s’agissait d’une sorte de décret : désormais, un match doit être immédiatement arrêté si une enculade s’y produit, fût-ce dans les tribunes ! J’avais découvert son blaze imprononçable et m’étais dit que, décidément, quand elles sont ministres, les femmes ont des préoccupations un peu plus élevées que leurs mâles collègues. Je n’avais encore rien vu, et je l’ignorais.


Cette ancienne nageuse n’a peut-être découvert que récemment ce qui se pratique hors des piscines, notamment le football. En effet, elle vient de s’offusquer de ce que les joueurs turcs aient salué leurs fans de façon militaire lors d’un match les opposant à la France. Je sais, lecteur, que tu penses immédiatement « qu’est-ce qu’on en a à branler » ? Et je te réponds : rien. Personne n’en a rien à foutre SAUF un ministre. Le ministre se cabre, dresse l’oreille, frétille de la narine, frappe le sol de son talon et nous pond un commentaire de derrière les fagots. Il exige des sanctions contre les joueurs turcs, ou contre l’équipe turque, ou contre la Turquie elle-même, personne ne sait. En tout cas, il veut que ça barde ! Au pas, qu’il la veut, la Turquie ! Goûtons le paradoxe : un ministre se transforme en adjudant pour empêcher que des gestes d’origine militaire soient faits dans une enceinte sportive…
Chaque semaine donc, notre ministre se lance dans un combat dantesque : contre l'homophobie, contre le militarisme, contre la politique ! Que sera-ce dans un mois ? La lutte contre la pauvreté intellectuelle ? La défense des hippopotames du Zambèze ? Pour ou contre la mayo sur la pizza ?

Le ministre exige aussi une enquête de l’UEFA, pour déterminer s’il s’agissait vraiment de saluts militaires. Quand un terroriste barbu tue douze personnes en criant que Dieu est akbar, la presse utilise l’expression « terroriste présumé », suggérant qu’il n’est pas possible de déterminer si le gars est bel et bien terroriste. Pour trancher ce point délicat, le recours à nos yeux, à nos oreilles, à nos sens et à notre intelligence est inutile. Il faudra attendre qu’une institution connue pour son infaillibilité se prononce : la justice française. Pour les saluts militaires, c’est désormais la même chose : l’UEFA nous dira ce qu’on a tous vu.


Bien sûr, les saluts militaires sont rares en dehors des cours de caserne. Bien sûr, les Turcs sont de parfaits patriotes, toujours prompts à prendre parti pour les leurs contre le reste du monde. Il est normal de s’étonner d’une pratique aussi peu occidentale, aussi peu moderne. Mais enfin, l’ouverture à l’autre et la diversité ne doivent-elles pas guider nos actions ? Quel mérite aurions-nous à ne respecter que les mœurs parfaitement semblables aux nôtres ? Madame Maracineanu déclare que la politique doit rester en dehors des stades, juste après s’être félicitée que la Marseillaise n’ait pas été sifflée (nous en sommes là) par les supporters de l’équipe turque ! La Marseillaise n’a rien de politique, c’est connu. Et d'ailleurs, lorsque nos joueurs de rugby font un salut militaire après chaque essai marqué contre l'équipe des USA (vérifiez), ça n'a rien à voir non plus !

Quand des sportifs américains mettent un genou à terre pour protester contre l’existence même de Donald Trump (le mec élu Président des Etats-Unis par le peuple), notre ministre ne se sent pas concerné. Elle ne voit pas ce que le geste a de politique. Peut-être faudrait-il que des nageurs plus proches d’elle, Français, ôtassent leur slip de bain en protestation de la politique macronienne pour qu’elle s’avise du caractère politique de ce type de gestes ?


Pour éviter que des saluts militaires ne nous soient jetés à la figure, certains firent campagne pour qu’on annule carrément le match. Pour les partisans du boycott, il n’est pas possible de jouer au football contre la Turquie, pays qui attaque en ce moment un autre pays (la Syrie, que la France a contribué à déstabiliser gravement). De la politique, ceux-là n’hésitent pas à en faire. Mais c’est pour la bonne cause : la nôtre. Au passage, on notera que les sanctions et autres boycotts ne concernent pas tous les pays ni toutes les circonstances. S’agissant par exemple des Etats-Unis, les protestations ministérielles et les demandes d’annulation n’ont pas été assez énergiques pour qu’on les remarque.


Les joueurs turcs ont-ils des raisons d’avoir peur de notre nageuse officielle ? Non. Ni elle ni ses prédécesseurs n’ont été fichus d’empêcher la violence dans les stades, les huées algériâtres couvrant la diffusion de la Marseillaise, ni que la tricherie chimique ruine le résultat et la justification même des compétitions. L’impuissance est une mauvaise habitude. La France ne sait pas empêcher la violence dans ses écoles, dans ses rues, dans sa langue, elle ne sait plus faire tout ce qu’elle faisait avant, sans presque s’en rendre compte. Par ses ministres, elle se fait désormais une spécialité des tartarinades et des offuscations. A quoi sert un ministre des sports ? A détourner l’attention des gens. Il intervient pour s’offusquer d’un bras d’honneur dans le choc Le Mans–La Bourboule, d’un juron sur un dojo de la Marne profonde ou d’un salut militaire présumé que ces salauds de Turcs viennent foutre sous le nez de nos fils et nos compagnes ! La France ne va pas bombarder la Turquie pour lui faire passer l’envie de zigouiller les Kurdes syriens. Alors, elle proteste contre des footballeurs assez cons pour croire à la puissance de leur geste, et assez malins pour avoir compris qu’il en faut peu, désormais, pour faire scandale chez les ministres.