lundi 17 décembre 2007

Les acharnés du vide

"Tu ferais mieux d'nous pondre un truc qui marche, mon garçon"


Je vous raconte ma vie : je rentre chez moi la nuit dernière et, dans la lueur des phares, à moins d’un kilomètre de mon plumard, apparaît une affiche fraîchement posée, au milieu de la campagne, sur un emplacement publicitaire souvent vide. Les brumes de fin de soirée me cachent l’essentiel, c'est-à-dire les détails de ce 4X3 racoleur, et je n’aperçois que le titre effrayant : « la tournée des idoles ». A peine déchiffrée, l’affiche disparaît derrière moi, et je continue ma route.

Ce matin au réveil, curieux de vérifier si je n’ai pas rêvé, je fonce revoir ce panneau (et je vous jure que les panneaux publicitaires me laissent généralement froid). Il est toujours là, bien sûr, solitaire comme la vigie surgie du passé, exhibant péniblement ses pétaradantes couleurs dans le brouillard glacé, triste et comique comme un tour de magie qui foire en public. Quelques rares automobilistes me dévisagent : que fout ce mec debout devant cette pub, se gelant les glaouis l’air absorbé ? Je reste là, en effet, le nez en l’air, et je déchiffre tant bien que mal le subtil message. Quelques noms me sont inconnus (mais restent superbes), j’en reconnais certains autres et, curieusement, je m’aperçois que je suis souvent infoutu de dire ce que chantait telle ou telle idole inoubliable ...

Tout est faux, c’est ce que je me dis devant cette conne en Harley Davidson, ces noms de vedettes franchouilleuses et ces grands mots. Les idoles… comment en est-on arrivés là ? Catherine Lara a-t-elle jamais été l’idole de qui que ce soit dans ce monde ? Idole : un truc devant quoi on se prosterne, qu’on adore comme une divinité… pourquoi la jeunesse de ces époques lointaines ne s’est-elle pas révoltée quand on a commencé à lui parler ainsi ? la magie des années 60 – 70… comment peut-on être assez cynique pour qualifier de magie les crétins Stone & Charden, l’invraisemblable Richard Anthony et le cadavérique Herbert Léonard ?

On aurait tort de dédaigner de parler de cette sorte de variété sous prétexte qu’elle fut et demeure la pire chose que la France ait produite, saint Barthélemy, guillotine et régime de Vichy compris ! Cette variété est sans doute la première, dans l’histoire des fléaux, a avoir été soutenue par un appareil médiatique surpuissant et pléthorique, une arme de combat qui n’épargne personne (sauf les sourdingues, bien entendu) et qui a fourni le modèle, très perfectible, à ce qui a suivi. Les animateurs de ces années 60 réussirent à hisser la pire bassesse au pinacle, dans un temps où subsistait encore une certaine exigence dans le public populaire. Les Frédéric François, les C. Jérôme et les Johnny Halliday voisinaient avec Brel et Brassens, avec Nougaro et Gainsbourg. Leurs successeurs ont fait le travail complémentaire… et nous voici avec des quidams à peine sortis de l’adolescence, bombardés stars, nouvelles stars ou nouvelles anciennes stars pour avoir réussi à chantouiller comme les pires vedettes d’il y a quarante ans.

Comme certaines bactéries qui pullulent aux dépens des organismes infectés au point de crever avec, les chanteurs de variété semblent inépuisables. Ils continuent de hanter les écrans, de donner des concerts et des conseils, de vendre de la camelote par paquet de mille et de répandre leurs vieux tubes comme un restant de vaseline.