mercredi 30 septembre 2009

Malika dans tes dents



Lecteur républicain, je te signale l’épatante Malika Sorel, qui est passée chez Finkielkraut ce samedi, et dont le discours tranche nettement dans le concert de jérémiades qu’est devenu la politique en France. Elle fut opposée à Alain Renaut qui fit tout son possible pour ne pas reconnaître ce qui crève pourtant les yeux et pour noyer dans un blabla bien-pensant les coups de boutoir de la Beurette.

mercredi 16 septembre 2009

La révolution Ségolène


Depuis quelque temps, Ségolène Royal est en roue libre, elle n’est plus qu’un mobile qui part en couille à chaque virage. Dès que l’occasion ne se présente pas, elle se répand en excuses pour des faits qui ne la concernent pas, auprès de gens qui ne lui ont rien demandé. Sa dernière culpa party, chacun s’en souvient, s’était adressé à l’Afrique, en toute simplicité, et aux Africains médusés. Quand elle parle, Royal s’adresse désormais à des continents, elle apostrophe l’Histoire, elle rembarre le passé et fouette l’avenir de sa cravache magique. La Mère Fouettarde n’a pas été élue à la tête de la République, elle n’a pas réussi à s’emparer du PS français, elle n’a pas été foutue de licencier correctement une paire d’employées mais l’univers, lui, n’a qu’à bien se tenir ! Le XXIème siècle sera poitevin, où il ne sera pas !
Evidemment, il ne saurait être question de s’attarder à ce que dit cette étrange créature, ou de chercher à y trouver le commencement d’une idée politique sérieuse. L’excuse est simplement devenue moyen d’exister, en faisant fi de toutes les implications ultérieures. Elle a besoin de s’excuser, de se traîner plus bas que terre, d’avouer des péchés vagues ou antédiluviens, qu’importe. Elle souffre d’une inflammation de confession. Un simple curé ne saurait lui suffire. Désormais entièrement livrée à sa mégalomanie, la bigote déclame ses fautes, celles des autres et même ce qui n’en est pas, mais à la terre entière. Elle compte bien refaire l’Histoire, mais à genoux.
Dans un match de boxe de haut niveau, l’arrivée des combattants est toujours un moment édifiant, surtout s’ils sont américains. On voit généralement deux types vêtus de façon voyante sautiller sur place, faire de grands gestes, apostropher le public, prendre l’air furieux, gonfler le torse, annonçant qu’on va voir de quel bois ils se chauffent. Impressionnant. Mais quelques minutes plus tard, quand l’un de ces tartarins se retrouve au sol, langue pendante et les yeux dans le flou, on ne peut s’empêcher de penser qu’il aurait mieux fait de se montrer modeste. Ségolène Royal, c’est un peu notre boxeuse à nous. Elle annonce qu’elle va révolutionner la démocratie, qu’elle va rendre le pouvoir au peuple, qu’elle va faire participer le citoyen jusque dans les chiottes, qu’elle va redonner à la France un rang et un brillant formidables, elle s’excuse au nom de Louis XV mais.. n’est pas foutue de lancer un vulgaire site internet correctement ! A la tête de son équipe de pieds nickelés, elle positionne Désirs d’avenir comme « un think tank » dont seraient friands les anglo-saxons ( ?!?) et quelques jours plus tard, elle montre à ces bouseux de quoi Désirs d’avenir est capable… c'est-à-dire de faire se plier en deux toute personne un peu objective. Oh, tout le monde sait bien que les sites des partis politiques ne sont pas des modèles d’inventivité, de légèreté ni de finesse. Mais voilà, puisque Royal tonitrue partout qu’elle veut faire de la politique autrement, elle n’avait qu’à commencer par faire un site décent, histoire de nous couper le souffle.


La mode est à l’écologie, certes, mais l’idée de mettre une pelouse de golf en illustration principale (et unique) d’un site à vocation électorale est quand même étonnante. L’interprétation de ce vide vert et bleu peut se faire de deux façons : soit préfiguration de la table rase que la révolutionnaire imposera pour le bien de l’humanité, soit image sincère du royalisme, c'est-à-dire un gros vide qui cherche à se remplir avec un peu tout et n’importe quoi, ce qui passe par là et dont personne ne veut. On peut aussi y voir une image propre à épater le bobo, celui qui rêve d’espaces verts, mais pas trop encombrés de monde (le peuple, brrr) bien nettoyés, bien lisses, citoyens !
Et puis, en passant, on apprend que ce stupéfiant site a coûté près de 42 000 euros (presque trente briques – oui, moi, quand on cherche à m’endoffer, je me mets à reparler en francs !). On n’est plus en 1995, à l’époque où ceux qui savaient monter un site te pompaient un énorme paquet de fric pour le faire. Les choses ont changé, elles se sont considérablement simplifiées, et n’importe qui se rend compte qu’un site comme Desirsdavenir.com ne vaut pas ça… Martine Aubry demandera-t-elle publiquement que toute la lumière soit faite sur le financement de ce site ? Je serais à sa place, je le ferais.

lundi 14 septembre 2009

Dors avec les bâtards.



Depuis quelque temps, une mode fait des ravages, celle consistant à trouver que Tarantino « n’apporte rien » au cinéma, ou qu’il est un recycleur médiocre, ou qu’il pond de « mauvais films ». Après avoir été admiratif et trouvé son travail épatant, il est devenu courant de le considérer comme nul, ce qui place évidemment le critique dans une position de supériorité bien agréable. Il faut dire aussi que le personnage de Tarantino, nerveux, arrogant, sûr de lui, viril, grossier, est appelé à déplaire, pour toutes les raisons qui font de Vincent Delerm le chouchou de l’époque. De là à devenir injuste avec Tarantino, il n’y a qu’un pas, celui de la danse habituelle des myopes.
Malgré ce lapidaire avant-propos, et quoi qu’on pense de son réalisateur, il va être très difficile de dire du bien d’Inglorious basterds. En effet, c’est une merde.
La période de la seconde guerre mondiale semble n’avoir existé que pour donner un sujet inépuisable au cinéma, au roman ou à la Fiction avec un grand F. Dans le rôle des méchants, de vrais méchants, bien laids, bien repérables, et dans le rôle des gentils, des concentrés de gentillesse que c’en est une merveille. Les victimes et les bourreaux sont deux catégories distinctes, les héros héroïsent, les lâches lâchent, les traîtres trahissent et les résistants pullulent. Parfait. Nous avons tous les ingrédients pour produire du divertissement pendant un siècle au moins. La guerre au cinéma, ça sert la plupart du temps à ça, soyons honnête : se divertir. On se souvient tous avec amusement de la polémique qui salua la sortie du lamentable « La vie est belle », de Roberto Benigni, et des bonnes âmes qui hurlaient qu’on ne pouvait pas faire rire avec certaines choses… Ces tartuffes auraient bien vu une loi interdisant de faire rire avec le malheur, la souffrance et la mort : ça viendra. Mais le projet de Tarantino semble bien loin du divertissement : il n’avait visiblement pas l’ambition de nous faire rigoler mais bien de nous ENDORMIR avec la seconde guerre mondiale. A conflit mondial, sieste gigantesque ! On peut penser ce qu’on voudra du projet, mais pas qu’il a échoué.
Les spectateurs conviés à cette nouveauté pourront témoigner que les deux heures et demie que dure le film sont intégralement orientées vers le repos du citoyen. Lecteur incrédule, imagine l’instant : tu t’installes dans les sièges un chouia défoncés du dernier cinéma de la ville qui diffuse encore de la VO sous-titrée. Tu te dis que tu vas voir ce que tu vas voir, que Tarantino n’a pas fait les choses à moitié ; tu revois l’affiche du film, celle qui fut placardée partout depuis des mois, une campagne de pub inouïe. Tu te frottes les mains. Le film commence (la musique est affreuse, mais tu as l’habitude avec Tarante !), un paysage campagnard… ça se passe en France en 1941… tout y est… mais ? mais ?! On voit un personnage, un paysan, utiliser sa hache sur un billot, il frappe mais… il n’y a pas de bûche. Un budget de plusieurs dizaines de millions, des effets spéciaux dantesques et pas foutus de comprendre que personne, même un français, ne tape avec une hache sur un billot en oubliant d’y mettre une bûche à fendre ! Ça commence mal, mais tu te dis que tu as mal vu… puis le méchant arrive, et ça cause, et ça parle, et ça traîne… Tarante fait des allusions au cinéma de Sergio Leone, mais ça ne fonctionne pas du tout… l’angoisse ne vient pas, les effets tournent à vide, le dialogue s’embourbe… les mitraillettes défouraillent dans l’indifférence générale. Il ne suffit pas de filmer des faces en gros plan avec un grand angle, ni de s’attarder dessus pour réussir un film de guerre spaghetti… Le film continue alors, interminablement, les personnages apparaissent, aussi creux les uns que les autres. Nous ne saurons rien du personnage phare, joué par Brad Pitt, nous saurons juste qu’il a un accent bouseux à couper au couteau, ce qui doit être très drôle (un peu comme un héros, chez nous, qui aurait l’accent du sud-ouest ! Fendard !). La forte silhouette de Pitt ornait toutes les affiches mais paradoxalement, son personnage est « fictionnellement » absent du film. Pur racolage donc, bien dans la veine hollywoodienne.


Que Inglorious basterds soit une galéjade, personne n’en doutait. Le sujet l’annonçait suffisamment clairement, et Tarantino a fait de la galéjade l’ambition unique de son début de carrière, quoi qu’il puisse dire par ailleurs Mais s’il est convenu de qualifier de déjanté l’art du bonhomme, on ne savait pas qu’un film pouvait être à la fois déjanté (par son sujet) et techniquement soporifique (par son absence de rythme et la vanité absolue de la majorité de ses scènes). Cependant, il faudrait être injuste pour ne pas souligner le comique épatant introduit par les citations de Tarantino, notamment celles de Clouzot. Par deux fois, nous voyons apparaître des affiches de films de Clouzot à l’arrière plan, l’Assassin habite au 21 et le Corbeau. Comique, en effet, de voir que le cinéaste de la psychologie la plus subtile, la moins manichéenne, le cinéaste qui se confronte à la complexité du mal soit cité dans un film aussi bourrin, creux et enfantin que cette coûteuse merdicule.

Willy Ronis, mort d'un homme.

Le photographe Willy Ronis vient de mourir à 99 ans. Malgré cette longévité, son nom n’est pas aussi connu que ceux de Cartier-Bresson ou de Robert Doisneau, avec qui pourtant il a de nombreux points communs. Il fait partie d’un courant appelé à juste titre humaniste. Pour ceux qui ne le connaîtraient pas, ou qui n’auraient pas la moindre idée de ce que peut signifier le mot humanisme, je conseille d’aller voir du côté de Ronis, il y a beaucoup à apprendre. Pour moi, il fait partie des gens qui, au XXème siècle, on traduit le mieux l’idée que le peuple français pouvait se faire de lui-même, à l’égal d’un Pagnol ou d’un Brassens, et il partage avec eux cet amour des petites gens qui rendrait quiconque ridicule aujourd’hui.

mercredi 2 septembre 2009

Tintin à Fleury Mérogis


Il existe des gens pour qui le scandale est la seule voie menant au succès. Pour certains groupes de rock, ça consiste à dire qu’on adore le diable, qu’on dévore des enfants ou que la désobéissance aux parents, c’est cool. On a, bien sûr, les rappeurs, qui rivalisent de grossièretés en prenant des poses impressionnantes sous l’œil humide des bourgeoises. On a des photographes qui déclinent le personnage de Jésus à la sauce gay, trash, S.M. et autres, convaincus qu’en compissant un mort, on fera banquer les vivants (ça marche avec la Sainte Vierge aussi, mais moins avec Mahomet – que son souvenir enchante l’avenir). On a les inventeurs de jeux télévisés qui font fion de tout cul pour exploser leur part de marché et, innombrables, les chercheurs de buzz internet qui passeraient sous un train en roller pour pouvoir comptabiliser 200 000 visites par jour sur leur page YouTube. A l’avant-garde, il y a des danseurs qui se bourrent le cul d’ustensiles ou les nécrophages festifs. Tout pour que ça choque, et que ça banque. Il semble bien qu’en ces temps qui aspirent à la gloire, même la gloire passagère, courte, éphémère, hebdomadaire ! rien n’est assez dégueulasse pour se faire connaître. L’idéal en ce domaine, c’est d’arriver à être assez insupportable à certains bien-pensants pour qu’ils vous foutent un bon procès au cul, devant le globe haletant. Traîné ainsi devant les tribunaux de l’Histoire, vous n’aurez plus qu’à jouer la victime persécutée en inscrivant votre démarche dans celle, au choix, des suffragettes, de Victor Schoelcher, de Linda Lovelace ou de Jean Moulin, et de prospérer en martyr.
Et puis, il y a Tintin.
Selon moi, Hergé n’est pas l’immense artiste majeur qui écrase le XXème siècle de son impressionnante stature, mais ce n’est pas un guignol pour autant. Certains de ses albums sont excellents, d’autres le sont moins. Tous ont en commun une forme de simplicité dans le propos, un manichéisme parfaitement utile à l’édification des mômes, et qui ne me dérange pas. Selon la période à laquelle il a pondu tel ou tel livre, ce manichéisme insistait sur un aspect ou un autre de ce qu’Hergé voulait souligner, vanter, débiner, démontrer. L’essentiel étant que le Bien triomphe et que les méchants soient punis. Quoi qu’il en soit, cet auteur visait les enfants, il aimait le succès et réfléchissait à deux fois avant de signer un bon à tirer. Cet honnête bourgeois était suffisamment talentueux pour ne pas avoir besoin de faire scandale. Mieux : ses livres se vendaient grâce à leur qualité ! Pourtant, un quart de siècle après sa mort, il fait scandale. Il fait même de plus en plus scandale, en qualité de débutant scandalier toutefois, étant entendu qu’il n’a pas passé son existence dans un underground chargé de stupre et de transgressions ignobles. Non, si certains rêvent qu’on leur fasse les procès qui braqueront un temps les projecteurs sur leur tristes faciès, Hergé n’a eu qu’à casser sa pipe et laisser mijoter son affaire pour que des moules à gaufres lui cherchent des noises.
Un triste sir, Bienvenu Mbutu Mondondo, Congolais de son état, se croit investi de la mission épuratrice du siècle : faire interdire la vente de Tintin au Congo en France (grâce à l’appui avocatier de Maître Collard, ne riez pas). Oui, lecteur nostalgique, cet anodin ouvrage que tu lisais aux chiottes quand tu avais huit ans, et qui n’est qu’une succession démodée de gags poussifs et bon enfant, cet ouvrage empêche un bachi bouzouk de dormir. En sa qualité de congolais, le funeste se croit probablement fondé à rouspéter de ce qu’Hergé fait s’ébattre son héros dans un Congo peu reluisant : l’histoire a été écrite en 1930, si on la réécrivait aujourd’hui, il est évident que l’image du Congo serait plus conforme au brillant incomparable que ce pays a pris l’habitude de donner au reste hébété du monde. Mais le fond de l’affaire n’est pas là.
Tintin est né au temps des colonies, dans un pays colonialiste. Il est donc, assez logiquement colonialiste, du moins en ses débuts. Les clichés de ces temps-là abondent dans l’album, comme les clichés d’autres époques se retrouvent dans toute l’œuvre du grand homme. Qu’est-ce que ça peut foutre ? Astérix en sa grande période (du temps de Goscinny), qu’est-ce d’autre qu’une litanie de clichés habilement mis en scène pour notre plus grande joie ? Quand Astérix présente un Auvergnat traître et âpre au gain, faut-il en interdire la vente à Clermont Ferrand sous peine de choquer le cocardier local ? Faut-il retirer des rayons les numéros où les Allemands sont représentés en envahisseurs stupides sous prétexte qu’ils ne sont plus ni l’un, ni l’autre aujourd’hui ? Quand Rastapopoulos incarne l’homme véreux et sans scrupule, les Grecs viennent-ils nous faire chier avec ces enfantillages ? Car il ne faut pas oublier que Tintin n’est que ça : un univers simple pour les enfants. Les enfants du Congo, je ne les connais pas ; mais ici, les enfants savent très bien faire la part des choses entre ce qu’ils lisent dans une BD, ce qu’ils font dans un jeu vidéo, ce qu’ils voient à la télé et la réalité. Quand je lisais Tintin au Congo, ou en Amérique, rien qu’à voir les vieilles bagnoles et les trains à vapeur, je savais parfaitement qu’on me racontait de l’histoire ancienne, je ne prenais pas ça pour argent comptant. Pourquoi les enfants d’aujourd’hui, si informés, si puissamment éduqués par l’outil informatique et les bons sentiments citoyens seraient-ils incapables de faire ce que les gosses ont toujours su faire ?
L’ectoplasme à la graisse de cabestan africain prétend qu’il ne faudrait pas mettre ce livre sous les yeux des enfants, sous peine de les voir adopter comme un seul homme les préjugés qu’il contient. Pur délire ! Comme si on incitait les enfants à la haine d’autrui chez nous ! Comme si les enfants d’Europe étaient quotidiennement bombardés de slogans racistes ! Comme si l’école apprenait aux gosses que rien n’est plus utile qu’une bonne discrimination ! Comme si on pendait les Africains aux réverbères pour égayer nos samedis soirs ! Tonnerre de Brest ! On avait les antinazis soixante ans après le nazisme, voilà qu’on nous bricole un anti colonialisme cinquante ans après le colonialisme. Pourquoi pas un plaidoyer pour l’abrogation de la peine de mort vingt-cinq ans après Badinter ? Pourquoi pas ressortir les chansons réclamant le retour de l’Alsace-Lorraine dans le giron français ? Que croit ce tartignole, qu’on prend les noirs pour des andouilles incapables de se gouverner seuls ? Il croit qu’on milite ici pour le retour de l’esclavagisme, ou quoi ? Ils nous prend pour quoi, au juste, des sauvages ?...


Si Nietzsche proposait l’inversion de toutes les valeurs, il serait bien étonné de voir ce qu’on fait aujourd’hui de son programme. Ah, on les renverse, les valeurs, et on fait ce qu’on veut avec ! Le Figaro nous apprend que « Pour l'avocat belge, l'argument «historique» ne tient pas : «Au moment où cet album a été rédigé, il n'y avait pas de disposition légale incriminant le racisme. En 2009, oui. Nous ne faisons pas de l'histoire mais du droit.» Ce flibustier inverse tout en toute impudeur ! Le principe fondamental du droit est la non rétroactivité. Même au Congo, on est obligé de convenir qu’une loi ne peut pas s’appliquer pour des actions commises au temps où elle n’existait pas encore ! Si la loi n’existe pas, il n’y a pas d’infraction, c’est simple. Qu’on puisse laisser dire une telle énormité à un avocat indique bien à quel niveau d’hébétude nous sommes tombés.
Philippe Murray parlait des tartufes qui veulent « inculper le passé ». La perversion n’est donc pas tout à fait nouvelle. On peut même se rappeler qu’on martelait les sculptures représentant un pharaon et ses ministres quand son successeur voulait effacer jusqu’à la trace de son existence. Taper sur le passé, c’est toujours taper sur un truc qui ne peut plus se défendre, ça définit bien le bonhomme. Le passé ne convient pas à Bienvenu, alors il fait une réclamation, comme dans un grand magasin, comme à Disneyland ! Il voudrait qu’on oublie ce passé-là, qu’il disparaisse sous ses coups (en prenant un peu de fric au passage ?) comme ont disparu les figures des rois renversés de jadis. Mais moi j’y tiens à mon passé, monsieur, j’y tiens ! Je ne veux pas qu’on me le censure sous prétexte qu’il te fait mal au derche, hé, Don Quichochotte ! Même laid, même obscur, même repoussant, c’est mon passé, on n’y changera rien, et je tiens à ce qu’il reste en état (j’allais écrire en état de marche : on se damnerait pour un bon mot). J’y tiens à ma Saint-Barthélemy, à mon Inquisition, à mes invasions barbares ! Je reconnais tout (ça y est : je parle comme un coupable !) : les magnifiques croisades, l’admirable guerre de cent ans, l’épatant Mers El Kébir, les succulentes guerres de religion, tout ! Les exécutions publiques, les têtes qu’on décolle à la hache… Et les épidémies, laissez-moi mes épidémies, que serait mon passé sans elles ? Vive la peste et le choléra, et mort aux frileux ! Le passé est une longue suite de souffrances, d’infamies, de coups tordus et pourtant je l’aime, parce que c’est le seul que j’aie. Le passé a été tellement dégueulasse, violent et sans pitié qu’il a accouché de notre époque, c’est dire ! Mais il faut faire avec. Les révisionnistes pour qui la France de 2009 doit s’excuser d’avoir laissé Napoléon botter les culs princiers d’Europe (dans le sang : hou !) ou restaurer le code Noir, rénovent à la fois le concept de perversion et les règles du burlesque. La France de 2009 n’a à s’excuser de rien du tout, sinon d’être devenue une bonne pomme qui laisse des Bienvenu faire joujou avec son passé. La France a été colonialiste, elle ne l’est plus. Elle a été belliqueuse, elle ne l’est plus, et c’est marre. La France vous emmerde.
Le Bienvenu ne l’est pas, pas plus que les censeurs en tous genres, ceux qui ont remplacé la clope de Lucky Luke par une paille, ceux qui rêvent de faire débaptiser les rues Jules Ferry ou de changer les paroles de la Marseillaise parce qu’ils n’ont pas le courage de les écouter en face. Bordel, c’est comme si un syndicaliste voulait qu’on démolisse les murs d’un édifice médiéval parce que sa construction n’a pas respecté les temps de pause, les salaires minima ni les trente-cinq heures ! Offense aux ouvriers ! Le monde change, tout se modifie, certains « progrès » sont même parfois accomplis, mais il reste des cons pour qui l’on doit aussi éradiquer le passé. Comme l’Histoire ne les a pas attendu pour changer, ils se vengent en changeant l’Histoire. Mais voilà, le passé a eu lieu, c’est même à ça qu’on le reconnaît.

jeudi 6 août 2009

Ce vieux Léon

Je ne vais pas passer le reste de l’année à t’ennuyer avec Avignon, lecteur zappeur dans l’âme, mais j’y ai fait une découverte amusante, que j’illustre ici. Dans cette ville pleine d’églises transformées en boutiques, en musée, en théâtre ou simplement ruinées comme des merdes, le touriste attentif peut découvrir une figure terrible, qu’on imagine soit révoltée, soit satisfaite de ce carnage, mais toujours offensée, en rogne, fulminante. Elle se trouve sur le bel hôtel de Berton de Crillon, rue du roi René...



Léon Bloy au XVII ème siècle


Léon Bloy dans la pierre

mercredi 29 juillet 2009

L'élite des connards


Culture citoyenne, responsable et à développement indéfini.

Je reviens sur Dieudonné. En fait, son bus théâtre est resté un jour de plus à Avignon et, le dimanche soir après le spectacle, j’ai pu aller le voir et l’entendre, une première pour moi. Autant le dire tout de suite : si quelqu’un prétend que ce mec est nul, ou qu’il n’est pas un acteur, c’est qu’il ne l’a jamais vu sur scène. C’est un putain de pro. Ceci dit, et au risque de me répéter, Dieudonné ne m’intéresse pas en tant qu’individu, mais seulement pour ce qu’il révèle du reste de la société. Et l’avoir vu donner son spectacle dans son bus m’en a appris sur nous. Je m’explique.
Avignon au mois de juillet, c’est le plus grand festival de théâtre du monde, paraît-il. C’est plus de mille spectacles par jour, ce sont des rues noires de monde, des touristes et des « festivaliers », ce sont des parades de compagnies théâtrales partout dans les rues et sur les places, une incitation à entrer dans ces théâtres bien plus efficace qu’aucune publicité, fût-elle sur papier glacé, fût-elle à base de famzapoil. Les rues sont donc envahies de badauds de plusieurs sortes, du touriste, du festivalier, de l’étranger non francophone et du local, allant et venant, bayant aux corneilles de façons fort différentes. En dehors du Japonais et du Nordique, venus là exclusivement pour prendre des photos d’ambiance et qui ne sauraient prétendre aux spectacles puisqu’ils ne parlent pas la langue du coin, j’attire l’attention sur le badaud local, notamment celui qui se promène en survêtement blanc, en tee-shirt Armani (avec chaîne dorée), celui qui s’est esquinté l’année durant dans des salles de gonflette et qui vient montrer ici le résultat de son labeur (bras et/ou avant-bras tatoués, détail obligatoire et, souvent, mollet, c’est très moche). Ce badaud, principalement d’origine maghrébine, circule en petits groupes. Selon les cas, il est hilare, joueur, concentré sur sa démarche (virile) ou en mode « charme », c'est-à-dire qu’il vient pour pécho de la gisquette, et de la gisquette, il y en a ! Elles sont moulées dans des robes invraisemblables, souvent transparentes, souvent composées de voiles superposés qui soulignent leurs hanches d’une façon formidable. La gisquette locale est coiffée, maquillée, toujours, et apprêtée avec l’extravagance de certaines automobiles italiennes. La gomina ou une autre substance brillante rend sa chevelure étincelante et lui donne perpétuellement l’air humide d’une gisquette anadyomène. Cette coquetterie renforce en elle la tendance bêcheuse, probablement obligatoire si elle ne veut pas être suspectée de racolage. Comme à peu près tout ce qui est vivant ici, et comme certains bâtiments épargnés par les services municipaux de nettoyage des tags, la gisquette est tatouée, qui sur l’épaule, qui sur la cheville, qui sur le bras, qui sur le cou, etc. Une fleur, une arabesque, une guirlande d’épines, un animal mythique, comme c’est joli… Pour l’observateur un peu attentif, il est évident qu’en plus des parades des compagnies théâtrales, Avignon en juillet offre donc le spectacle des parades des beurs et beurettes du coin, parades absolument concentrées sur l’axe gare – rue de la république – place de l’Horloge – place du Palais des papes. Or, et c’est là où je voulais arriver, on ne voit jamais un seul de ces beurs dans un théâtre. Dans ce festival fondé historiquement sur l’ambition de rendre le théâtre « populaire », des milliers de gens restent dans la rue et passent devant les théâtres pourtant accueillants comme devant des Mac Do fermés. Ce sont des gens du coin. Ils ont les moyens financiers d’aller voir quelques pièces mais ils passent là, au milieu d’un événement ostensible qui fait venir des foules du diable vauvert, et ils font tapisserie. Pire : il est rarissime que les artistes qui paradent leur donnent même un tract. Et pourtant, je témoigne qu’ils n’ont pas l’air particulièrement agressif, non, ils passent, ils circulent, ils font semblant de participer au truc, mais ils ne comptent pour rien. Comme si les acteurs de ce festival, une fois qu’ils ont parlé de l’intégration autour d’une bière, une fois qu’ils ont critiqué Sarkozy et ses méchants ministres, une fois qu’ils ont écouté de la musique de là-bas, qu’ils ont évoqué le thé à la menthe et les falafels et qu’ils ont daubé sur les lois régulant l’immigration en France retrouvent les réflexes typiquement bourgeois qui consistent à ne pas se mélanger. Je n’irai pas jusqu’à dire qu’il y a des coupables et des victimes dans cette affaire, mais je ne peux m’empêcher de constater que la barrière culturelle et sociale est bien solide, qu’elle se confond d’ailleurs presque avec une barrière ethnique, que personne ne paraît en mesure d’y changer quoi que ce soit et surtout, que personne ne semble enclin à en parler. Tous ces artistes Citoyens, Engagés et Concernés (artistes CEC, modèle déposé français) grenouillent entre eux dans la plus parfaite indifférence. Ayant lancé le débat deux ou trois fois au milieu de mes collègues gauchisant, la chose la plus élevée qu’on m’ait dite est : « qu’est-ce que tu veux faire, les théâtres sont ouverts, ça ne les intéresse pas. » Et ils continuent de prétendre, poing levé, que la Culture, c’est essentiel.
Quel rapport avec Dieudonné ? Celui-ci : dans son bus théâtre ambulant, le soir que j’y étais, plus de la moitié des 45 places étaient prises par des zivas. Et on les a entendus, avant que le show ne commence, apostropher Dieudo absent en criant « remboursez ! » pour rire, en s’envoyant des vannes entre eux, en draguant les nanas présentes avec la finesse habituelle des mecs en groupe. Ça m’a rappelé l’ambiance des films italiens des grandes années, les séances de cinéma où les gens pouvaient encore fumer et où l’on critiquait le film à haute voix, comme si les acteurs pouvaient entendre… Il ne s’agissait pas d’Arabes très éduqués, étudiants ou docteurs en droit, mais bien de ces beaufs de nulle part qui composent une bonne partie de la classe popu jeune d’aujourd’hui. Qu’on le veuille ou non, qu’on en soit heureux ou triste, Dieudo leur parle et ils l’écoutent. Et les théâtreux, musiciens ou artistes dont je fais partie, non.

samedi 25 juillet 2009

Dieudonné en spectacle


Pendant que tu glandes, lecteur estival, autour de piscines javellisées écrasées de soleil, je joue un spectacle au festival Off d’Avignon. Oui, tu le sais peut-être déjà, en plus de commettre des articles sur ce blog, je suis un musicien, ou, pour être plus imprécis encore, un artiste. Tout le mois de juillet sera donc exclusivement consacré à ce travail quotidien, explication de mon mutisme ici. Mais j’ai quelques minutes à moi en cet après midi, et je voudrais parler de Dieudonné. Pourquoi ? parce que le bonhomme a eu l’idée de débarouler au festival d’Avignon, justement, avec son propre bus aménagé pour pouvoir y jouer son dernier spectacle : Sandrine. Il s’est installé à côté de la gare, et on a pu voir quelques potes à lui distribuer des tracts dans les rues de la ville, regardés comme des extra-terrestres par les centaines d’autres « tracteurs ». Autant te le dire tout de suite : je n’ai pas pu voir son spectacle. J’aurais voulu le faire, mais nos horaires étaient incompatibles. La question de son spectacle n’est d’ailleurs pas celle qui m’importe.
L’occasion était trop belle pour ne pas être tenté : j’ai innocemment posé la question de Dieudonné à divers « collègues » théâtreux, musiciens, adeptes comme lui du one man show. Il faut le savoir, d’une manière générale, l’artiste modèle du festival est un ami de la liberté. Il clame tout haut son amour de la liberté d’expression, vomit la censure, les idées sectaires, il abomine l’exclusion et prétend qu’il ne faut pas juger les gens. Surtout, d’une manière quasi obsessionnelle, il revendique le droit de tout dire, merde. Pourtant, je n’ai pas trouvé un seul, je répète : un seul) de ces Che Guevara pour trouver paradoxal que Dieudonné soit contraint d’affréter un bus pour jouer dans une ville où, durant juillet, environ mille spectacles (1000) se jouent quotidiennement !
Dans les années 80, la machine médiatique est partie en croisade. Son ennemi : l’intolérance. Il fut clamé et répété qu’il fallait « accepter la différence », selon une expression hélas inoubliable. L’idée était que devant l’afflux de personnes immigrées de moins en moins « semblables » au français courant, il fallait travailler le peuple pour éviter qu’il se laisse aller à de mauvaises pensées. Idée louable. Evidemment, en ces temps reculés, seuls les moins humains de nos compatriotes se risquèrent à chanter les louanges du droit à la ressemblance de préférence au droit à la différence. On les oublia bien vite.
Le paradoxe apparut quand certaines parties de la population immigrées osèrent le « chiche » ! Ha vous chantez le droit à la différence ? OK, allons-y, je mets mon tchador, j’excise ma fillette, je réclame des espaces publics non mixtes et je dégaine ma burqua ! C’est de la différence, ça, pas vrai ? ça doit vous plaire ? Dans un mouvement de valse dont l’habitude remonte très loin, les apôtres de la différence s’insurgèrent immédiatement : la différence, c’est valable si tu penses et vis comme moi, hé banane ! Jospin balança même sa loi contre le voile scolaire, soutenu par l’armée des anciens toléreurs et respecteurs de différence. Finalement, respecter uniquement ce qui ne change rien à ses habitudes, ses principes ou ses idées, c’est un peu pratiquer comme les intolérants, non ? Problème et limite de l’universalisme : comment jouer le rôle du gentil avec les méchants, sans perdre ? Impossible. On doit nous aussi se montrer méchant, et l’assumer.
Dieudonné, c’est un peu le même principe, avec les mêmes acteurs en présence. En parole, on déteste la dictature du pouvoir, de l’argent, de la pensée moralisante, on moque les tenants de la pensée correcte et on lutte contre le retour de l’ordre moral, mais sauf quand c’est un enculé comme Dieudonné qui s’exprime. Contre lui, les principes ne valent plus. On a le droit de l’ostraciser, de le diffamer, de le blacklister, de lui refuser ce qui est permis à tous les autres, de chercher à le ruiner. A-t-il commis un crime ? Dans l’affirmative, que fait-il en liberté ? Dans le cas contraire, pourquoi le traiter en pestiféré ? C’est le phénomène fascinant de la « double pensée », abordé par Jean-Claude Michéa de façon magistrale. Les gens semblent portés à faire le contraire de ce qu’ils disent, surtout quand leur discours est du modèle héroïque. A force d’augmenter la mise sur le sujet de la morale, des principes, du droit, de la liberté, de la tolérance, de la consciencitude et autres citoyenneté, il devient impossible à la quasi totalité du genre humain de se montrer à la hauteur de ce qui est partout vanté. Alors on continue de blablater à coups de grands mots mais, dès qu’un rouage grince, on pratique comme le Taliban de base : on décapite. Or, être tolérant n’a de valeur que si on l’est avec ce qui est réellement différent. Etre courageux n’a de sens que face au danger. Avoir l’amour de la liberté aux lèvres ne devrait pas donner le droit de condamner l’expression, fût-elle celle d’un ennemi, fût-elle fausse ou dégueulasse. Pour condamner les opinions dégueulasses, il faut avoir pris le risque de prévenir qu’on ne les accepte pas, qu’on n’est ni tolérant ni sympa, ni des saints, et qu’on vous emmerde.
La solution est simple : qu’on cesse de donner des leçons au cosmos et qu’on reconnaisse que nous ne sommes pas mieux que les empaillés d’en-face. Ni mieux ni moins biens, mais légitimes ici et maintenant. Ça réduira le confort des consciences, mais ça simplifiera la donne. Evidemment, ça suppose de renoncer au monopole occidental du droit moral sur le reste du monde, à l’universalité du Bien made in France. Difficile, je le reconnais.
La différence entre eux, les toléreurs, et nous, les gros cons, c’est que nous ne prétendons pas avoir raison ailleurs qu’ici, nous ne prétendons pas que l’excision soit une monstruosité ailleurs qu’en France, que les scarifications rituelles parfois mortelles soient intolérables en Amazonie, que la polygamie doive être éradiquée de la surface du globe, ni que l’Afghane de base doive porter le string apparent par-dessus la burqua. En gros, nous tolérons parfaitement que chacun fasse chez lui comme il l’entend et qu’il oppose à nos prétentions morales un gros merde dans sa langue fleurie. Ce qui nous permet au passage de faire de même quand il le faut, dans un rapport de réciprocité parfaitement inattaquable. Dans la Trilogie de Pagnol, César se lamente que certains peuples lointains croient à un dieu à plusieurs bras : que tous ces gens se fassent couillonner, ça lui fait de la peine. Le seul vrai dieu, évidemment, c’est le sien. Sagesse bonhomme, mais profonde. Surtout quand on sait bien, comme Pagnol, qu’il n’y a pas de dieu.
Au final, on pourrait croire que je suis en train de défendre Dieudonné, alors que ce n’est pas vraiment mon sujet. Ce que dit Dieudonné, je m’en tape. L’antisionisme et le complotisme ufophile, c’est de la connerie. Mon sujet, c’est la tartuferie de l’époque, omniprésente et tentaculaire, qui transforme les beaux mots de tolérance, de liberté, de résistance ou de courage en slogan publicitaire, portés aux nues par des pantins qui n’attendent que la victime expiatoire de circonstance pour former leurs pelotons. Et on en arriverait presque à défendre leurs ennemis, contre ses propres opinions, par dégoût de ce qu’ils sont.
Je suis d’accord avec vous sur tout, mais je suis prêt à me battre pour que vous fermiez vos gueules.

mardi 30 juin 2009

De l'utilité des lobbies

je signale à l'attention des lecteurs qui ont une heure à tuer, qu'ils peuvent se rendre sur le site de France Culture pour y écouter ce passionnant reportage d’Inès Léraud et Rafik Zenine sur les suites de l'étrange campagne de vaccination massive de la population française contre le virus de l'hépatite B en 1994/95. Ils y découvriront que du ministre (Douste) aux experts médicaux, on a menti sur toute la ligne en donnant des chiffres alarmants, en balançant des résultats statistiques bidon et en pratiquant une sorte "d'acharnement vaccinateur" comme aucun autre pays ne l'a fait.
Les raisons de ce bintz? Ecoutez le reportage...

Mort en solde


Nous ne savons pas grand-chose du monde de demain. Et les gens qui viendront après nous, tout historiens qu’ils se prétendront, n’auront qu’un mince reflet de nos vies à se mettre sous la dent. Les choses sont ainsi : le passé n’est qu’une image mentale, au sens propre une fiction dans laquelle, au mieux, comme dans les meilleures productions laitières, des morceaux de vérité sont contenues.
Aussi improbable que ça puisse paraître, il est possible qu’un historien du XXIIIème siècle se penche sur les milliards de tera-octets de mémoire du WEB des années 2000, qu’il travaille sur le mois de juin 2009 et qu’il tombe sur ce qui fait l’actualité du moment. A coup sûr, s’il met en parallèle l’affaire Courjault et l’affaire Maddof, il ne comprendra rien. Je veux ici le rassurer par avance : nous non plus, nous n'y comprenons rien.
Une femme tue trois enfants, les siens, en brûle un et met les deux autres au congélateur, n’est reconnu ni folle ni irresponsable mais se voit punie de huit ans de prison. On n’exige même pas d’elle qu’elle se soigne, si un traitement existe pour ce genre de cas. Par ailleurs, un homme monte une escroquerie gigantesque en volant des milliards de dollars, et se voit puni d’une peine de cent cinquante ans de prison, c'est-à-dire presque vingt fois plus que s’il avait tué, en France, trois enfançons.
Quand le monde n'est plus compréhensible par personne, on dit qu'il est devenu moderne.

dimanche 21 juin 2009

Travail, famille, burqua.


Dans un monde soumis à la dictature quotidienne de la fesse rentable, publicitaire ou, pire, de la fesse adolescente (c'est-à-dire interdite), la burqua pourrait apparaître comme une solution raisonnable pour mettre les humains de sexe masculin (j’en suis) à l’abri des maux de tête. Pour avoir passé quelques mois de ma vie dans des pays arabes, je témoigne qu’on peut s’y promener des jours entiers sans jamais ressentir cet énervement sexuel dans le vide qui fait l’ordinaire d’une vie d’homme ici, et sa tragédie. Pas de gonzesse en vue, pas de nombril, pas de mollet galbé, pas de seins bondissants, pas de cuisse dénudée, le calme règne… Evidemment, à moins d’aimer les moustaches, les barbes et les sourcils broussailleux, on s’y fait énormément chier. C’est d’ailleurs un peu pour ça que les gonzes rêvent de venir en Europe : ici, même si tu n’as pas de boulot, tu peux quand même avoir une nana. Passons.
En réalité, la burqua est d’une épouvantable laideur. C’est sa fonction : transformer l’irrésistible beau en laid repoussant. On peut dire qu’en matière d’efficacité, les Afghans, chapeau ! On devrait les consulter pour fabriquer des Airbus. Il arrive parfois qu’un tchador enjolive une femme (les yeux des Arabes, c’est quand même quequ’chose), on peut aussi adorer le fichu qui couvre les cheveux et souligne l’ovale des visages, mais la burqua, non vraiment, c’est sans appel. Dans l’ordre de l’affreux, c’est l’équivalent féminin du pantacourt pour hommes ! Deux trucs à interdire, assurément. (on dit que Stanley Kubrick avait songé à introduire une burqua dans son Shining pour le rendre encore plus effrayant, mais qu’il n’a pas réussi à l’intégrer au scénario. Tant mieux).
Les grandes gueules défendant la liberté (comme moi) sont bien dans la merde : la liberté intègre-t-elle la burqua ? Faut-il interdire le port du sac à patate ? Au nom de quoi ? Autant le dire tout de suite, j’ai la solution à ce problème, mais je ne la donne pas tout de suite : ne jubilez pas, obscurantistes ! D’abord, il est évident que la liberté ne peut pas être évoquée hors de tout contexte. Comme toutes les choses délicates mais surpuissantes, la liberté réclame un apprentissage, un sens de la nuance, un certain doigté, une maîtrise qui ne va pas de soi. On ne peut pas tout faire au prétexte qu’on a simplement envie de le faire. C’est même, pour moi, l’exact inverse de la liberté, qui est avant tout maîtrise de soi, de ses passions, de ses peurs, de ce qui joue en nous à notre insu. La liberté n’est pas de faire ce qu’on veut, mais de vouloir ce qu’on fait © (c’est beau, c’est vrai, c’est de moi). Qui prétendrait qu’au nom de la liberté, on doive autoriser les gens à se promener nus sur les grands boulevards ? L’état d’esprit général est tel, les traditions et les mœurs sont telles que la nudité, fort normale en Papouasie, est rejetée en France dans l’espace public. Un Papou débaroulant sur les Champs aurait-il une quelconque légitimité à s’y montrer nu ? Non, car l’exercice de sa liberté (et de ses traditions) serait trop offensante pour la liberté et les traditions de nous autres, et que ça créerait des problèmes immédiatement. Or, la finalité de la liberté, c’est l’harmonie entre les gens, non la guerre de tous contre tous. En passant, c’est exactement le même principe qui me fait dire qu’une touriste en short moulant et débardeur ultracourt n’a rien à foutre en Egypte, et que son expulsion du pays devrait être automatisée. On ne peut donc pas se contenter d’invoquer la liberté individuelle quand on traite la façon de se comporter en public : c’est nécessaire, mais non suffisant.
Les contempteurs de burqua évoquent le droit des femmes, ou leur image, ou leur dignité, enfin ils se servent d’un truc astucieux pour que toute critique qui leur serait adressée soit a priori illégitime : qui, en effet, pourrait se dire contre le droit des femmes, qui aurait cette audace au pays de Martine Aubry, de MAM et de la mère Denis ? Evidemment, on leur objectera que les femmes, en matière de droit, pourraient aussi avoir celui de s’habiller en burqua, mais aussitôt, la massue de la dignité féminine s’abat sur le contradicteur, bien fait. Et que l’on soit ami de ces féministes ou qu’on soit leur adversaire, on doit bien reconnaître que la burqua est, même en Afghanistan, un élément d’oppression. Liberté ou pas, dignité ou pas, la burqua ne répond à aucun des critères qui, chez nous, définissent la tradition, le droit, la liberté, les mœurs. Chez nous, on ne se promène pas sous une capuche géante, pas plus qu’avec une plume dans le cul (le souvenir de la dernière gay pride me fait regretter d’avoir écrit cette dernière phrase, et en invalide une partie ; les militants gays donnent donc un argument de poids aux amateurs de burqua, bravo les filles). Bien qu’ils soient souvent chiants comme les mouches, les manieurs de dignité féminine ont quand même touché juste en disant que la burqua s’oppose à l’émancipation des femmes telle que nous l’entendons, ici, au pays de la minijupe et du french cancan. Là où je ne les suivrai pas, c’est quand ils prétendent que la burqua devrait être éradiquée d’Afghanistan : que peut nous foutre, ici, que les afghanes se voilent intégral ou que les chinoises aient les yeux bridés ? Comprends pas…
Si Philippe Muray était encore vivant, il trouverait sûrement à la burqua la vertu d’incarner la lutte contre la sacro-sainte Transparence, cette religion moderne qui stipule que tout doit être su, connu, pesé et contrôlé et qu’un père qui donne une fessée à son garnement de fils doit être dénoncé à la police autant qu’à la vindicte populaire. Je vois d’ici les amoureux de paradoxe se jeter sur l’occasion en utilisant la burqua comme un drapeau, l’étendard de la lutte anti moderne, le signe de ralliement des ennemis de la société de surveillance qui progresse partout. Pour certains, en effet, la haine des défauts de l’occident se traduit par la promotion de ses ennemis, ou la constatation que notre liberté n’est ni parfaite ni totale les fait souhaiter que triomphent des régimes radicalement oppresseurs, pour nous apprendre ! C’est la classique haine de la « décadence » qui pousse l’imbécile à rêver des barbares, pour qu’on en finisse une bonne fois. On peut d’ailleurs prévoir que, par haine du féminisme militant ou par anti-néocolonialisme primaire, un type comme Nabe va s’arranger pour qu’on sache tout le bien qu’il pense de la burqua, et il ne sera pas le seul. Au temps de la polémique sur le voile à l’école, on a déjà tenté de mettre en parallèle le string et le voile (Soral, par exemple), arguant que celui-ci ne rendait pas la fillette plus indigne que celui-là. Même en considérant que le voile renouvelle la tradition française de la dignité, il n’en reste pas moins un élément exogène qui, en cas de succès, tendrait à supprimer du paysage tout ce qui ne lui ressemble pas, un peu comme ces écureuils d’Amérique introduits en Angleterre artificiellement, et qui font disparaître les traditionnels écureuils roux définitivement, parce que c’est comme ça. Si nous n’avions que l’alternative entre le string-ras-du-fion et l’isoloir portatif, ça se saurait : l’éclaboussante majorité des femmes, en France, ne portent ni l’un, ni l’autre.
Comme on l’a vu au temps de la polémique sur le voile scolaire (je l’appelle comme ça), certains prétendent qu’on peut être à la fois hyper républicain, patriote de chez Patriote & Fils (maison fondée en 496) ET porter un voile maousse, voire une burqua en zinc. Mon corps est caché, mais mon esprit appartient à Marianne ! Evidemment, même parmi les nombreux faux jetons que la France abrite, personne n’y croit. Une nana pour qui se promener dans la rue comme tout le monde, sans masque, est inconcevable, ne viendra pas prétendre qu’elle adhère aux lois et à l’esprit d’une république à la française. Si nous vivions encore dans une époque saine, on se foutrait tout bonnement de sa gueule, on en ferait une bonne galéjade à raconter entre potes, on ne ferait pas semblant de croire que ça peut être éventuellement vrai si ça se trouve peut-être faut voir on sait pas. Imaginons un instant que la burqua se banalise un peu plus, et imaginons que ses adeptes soient vraiment de bonnes citoyennes républicaines attachées aux valeurs blablabla : certaines iraient jusqu’à se présenter aux élections et, pourquoi pas, seraient élues. On arriverait donc à voter pour une dame dont on ne connaît ni le visage, ni les regards, ni les formes, ni les gestes !... Hé ! Ho ! On est en France ! On se réveille ! On arrête de déconner !


Pour conclure, et pour tenir ma promesse, je propose donc qu’on se réconcilie tous autour de la solution, une bonne vieille loi républicaine, celle qui précise qu’en dehors des fêtes costumées comme Mardi Gras, il n’est pas permis de dissimuler son visage sous un masque. C’est bête comme chou ! En France, en temps ordinaire, on n’a pas le droit de se masquer, point final. La loi est ainsi, elle existe, on n’a qu’à l’appliquer. Le hasard fait qu’en ce moment retentissent les échos moisis d’un projet estrosien d’interdiction du port de la cagoule pendant les manifs, mais ce n’est pas le sujet. Sans parler des manifs ni des bagarres contre les bourriques, il n’est de toutes façons pas permis de se balader avec un masque. J’aimerais bien qu’on m’explique pourquoi les femmes décidées à se voiler entièrement la truffe seraient les seules à ne pas tenir compte de cette loi, et surtout au nom de quoi. J’entends immédiatement les grenouilles de minaret alléguer un droit spécial pour cause de religion : ben merde ! Tout le monde sait bien que la burqua n’a qu’un rapport indirect à la religion, et qu’il s’agit d’une tradition locale du Burquanistan dont on a parfaitement le droit de se foutre en France. Et quand bien même il s’agirait d’une stricte recommandation religieuse, la France laïque n’a pas à déroger à ses règles pour qu’une bande de masos puissent l’appliquer. Sans compter qu’il s’agit d’un engrenage sans fin. Le Québec a cru bon d’autoriser le kirpan (un putain de poignard !) dans les écoles, pour cause de respect d’une prescription religieuse, je ne vois pas ce qui pourrait faire obstacle là-bas à toutes les fantaisies possibles (car, ne l’oublions pas, les religions ne sont, ontologiquement, que ça). La Terre est vaste, messieurs dames, allez burquer ailleurs si vous ne pouvez pas vous en passer, il ne manque pas de pays assez cons pour être dans le renoncement, l’égarement, le suicide culturel, la complicité d’abrutissement, et pour appeler ça tolérance.

Post scriptum : je précise que j’ai écrit burqua avec la forme Q-U-A (et non burqa) parce que le Q-U est une forme habituelle de la langue française. Comme burqua est appelé à devenir notre quotidien (non majoritaire, n’exagérons pas le pessimisme), je le considère donc dès à présent comme un mot français, au même titre que nikomouque. Je t’invite, lecteur grammairien, à en faire de même.

vendredi 19 juin 2009

Pour les cons, liberté!


On prétend souvent que la liberté d’expression est menacée, qu’elle recule dans notre pays et qu’on ne peut plus s’y exprimer aussi librement qu’il y a quarante ans, pour ne pas parler d’avant-guerre.
Pourtant, un type qui serait tombé dans le coma en 1980 (par exemple), qui se réveillerait aujourd’hui et qui jetterait un œil sur Internet aurait sûrement une jolie surprise. Guidé par un ami, ce rescapé regarderait quelques vidéos sur Dailymotion, zapperait de l’une à l’autre en lisant ce qui serait une nouveauté absolue pour lui : les commentaires des internautes. Dans les temps anciens, la liberté d’expression publique était réservée aux gens invités, choisis, autorisés. Les connards la fermaient, du moins les connards anonymes. Ces temps obscurs ne sont plus, et c’est un connard anonyme qui vous le dit !
A part les discours de Ségolène Royal, les parkings d’hypermarchés et les radios FM, peu de choses sont aussi désespérantes que les commentaires sous les vidéos de Dailymotion (je mets à part les commentaires d’articles de journaux dominants –Libé, Figaro, etc- qui concernent des êtres définitivement sortis de la famille humaine). De façon certaine, une vie passée sans rencontrer aucun de ces fléaux modernes pourrait être considérée comme réussie. A l’inverse, il y a peu de chance de trouver un homme heureux parmi ceux qui ne s’abreuvent qu’à ça. Quoi qu’il en soit, ces horreurs existent, elles nous sont contemporaines et nous ne pouvons tout à fait les ignorer. Quand on parle de liberté d’expression, dans la France de 2009, c’est forcément un peu aux commentaires de vidéos de Dailymotion qu’on fait référence. Nous en sommes là.
Sur ce site (entre autres, sur ce point comparables), il semble qu’une place éminente soit faite aux extrémistes de tous poils et aux imbéciles, qui ne sont pas toujours les mêmes. Cette impression est trompeuse : il n’y a pas plus d’extrémistes qu’ailleurs, mais là, ils s’expriment. Quand un extrémiste quelconque regarde Navarro à la télévision, il ne peut pas extrémiser grand-chose, à part son opinion sur la vigueur du scénario ou la qualité de la photographie. Quand un extrémiste conduit un autobus, son extrémisme est soumis à certaines contraintes, principalement connues sous formes d’agents de police et de véhicules divers. Mais quand cet extrémiste est devant son ordinateur, il débride son extrémisme et nous lâche une salve hargneuse de commentaires de derrière les fagots. On a donc l’impression qu’il n’y a d’extrémiste qu’ici, alors qu’ils sont bel et bien parmi nous ! Sans le savoir, lecteur inconscient, tu achètes peut-être ton pain chaque jour chez un putain d’extrémiste !
De plus en plus souvent, nous voyons apparaître la question de savoir si l’on doit laisser faire les commentaires sur Internet. Des systèmes d’auto flicage existent ici ou là, des systèmes incitant à la dénonciation de propos ou contenus scandaleux sont proposés au glandu moyen, qui n’en demande pas toujours tant. Mais il semble bien que ces bricolages soient insuffisants aux yeux des plus ardents défenseurs de la Liberté (qui se trouvent toujours être ceux qui réclament qu’elle s’exerce sous la contrainte la plus sourcilleuse). Nous avons appris par ailleurs que, d’une manière générale, il est bon « que les choses soient dites ». La parole doit s’exprimer, entend-on répéter à l’envi dans tous les cabinets de psy. Que fait-on, d’ailleurs, dès qu’une classe d’élèves de terminale (1m90 de moyenne, 100 kg de muscle jeune) a la douleur d’apprendre qu’un des leurs s’est cassé la figure en trottinette et qu’on a dû lui faire quatre points de suture (oh my god) ? On dépêche une cellule de soutien psychologique, qui mettra en œuvre un certain nombre de techniques pour que les élèves puisse « extérioriser leur angoisse en l’exprimant ». L’époque nous fournit donc ici encore une occasion de nous étonner : pourquoi les extrémistes, qui sont sûrement des gens qui souffrent et que l’expression de leurs phobies devrait soulager, voire guérir, pourquoi ces extrémistes seraient-ils les seuls qu’on empêcherait de parler ? Livrer publiquement l’état lamentable dans lequel son âme se trouve doit-il être réservé aux candidats de jeux télévisés et à leurs présentateurs ? Et surtout, pourquoi l’expression des délires d’un extrémiste serait-elle dangereuse pour les gens qui ne le sont pas (a priori, une personne sensée reconnaît au bout de trois mots qu’elle est tombée sur un dingue, et passe son chemin) ? Y aurait-il, tapie sous chaque extrémiste, une once de vérité qu’il serait dangereux d’exposer sous les pifs pondérés des populations bourgeoises ? Ciel !
J’ai évoqué les extrémistes, mais j’aurais aussi bien pu m’appuyer sur les cons ordinaires, les fans de pubs, les acheteurs de jantes alliage, les applicateurs de gomina, les fréquenteurs d’hypermarchés, les répandeurs de maisons Bouygues avec barbecue et portail automatique, les sauveurs de planète de comptoir, les amis de Mispasse et Fesse-Bouc, les faiseurs de crédit sur dix ans pour une voiture surdimensionnée, les changeurs de téléphone portable tous les trimestres, les multiplieurs de télés géantes, les porteurs de survêtements blancs et d’une manière générale tous ceux dont le mauvais goût constitue une sorte d’extrémisme quotidien proliférant. En fait, quand on évoque la liberté d’expression, on ne peut s’empêcher de penser à la liberté de dire n’importe quoi, ce qui est réducteur. Evidemment, dans l’exemple que je prenais, je reconnais que les commentaires sur Dailymotion sont assez souvent du « n’importe quoi », mais ils ne constituent pas l’exclusivité de la parole publique en France, merde ! Comme les cons sont nombreux, et qu’ils se distinguent par une tendance à dire n’importe quoi sur à peu près tout, on va fatalement arriver à penser que la liberté d’expression n’est faite que pour eux, et qu’il vaut mieux la flinguer tout de suite. Erreur ! La liberté d’expression sert aussi à dire des choses sensées, belles, utiles, futées, révolutionnaires, indispensables, etc ! Mais, à l'âge des masses, on ne peut pas s’exprimer si les abrutis de tous ordres ne s’expriment pas, eux aussi. Toi, lecteur d’élite dont je pressens que tu n’appartiens pas à ces catégories grotesques, tu dois, avec moi, te faire dès à présent le défenseur des crétins. Tu n’as pas le choix : si tu veux continuer à t’exprimer sur les excellents sites que tu fréquentes, si tu veux qu’ils puissent continuer d’exister, tu dois accepter que s’expriment les sionistes et les antisionistes, les racistes et les antiracistes, les salafistes et les antisalafistes, les ultralibéraux et les trotskards, les gayslesbiensbitrans et les pères de famille villieristes, les bayrouistes et les adventistes du septième jour, les viandards et les végétaliens, les amoureux de James Brown et les enculés ! On est toujours un peu ravi quand un Orelsan tombe sur un os, et on se dit que son texte débilo dégueulasse sur une « sale pute » ne mérite pas qu’on le défende face aux censeurs. On se trompe : la liberté de s’exprimer, c’est aussi la liberté de chanter de la merde. Alors, comment continuer de distinguer le bon grain de l’ivraie dans ce bousier ? Par la liberté, pardi ! Si l’on consent à ce que toutes les opinions s’expriment, il faut admettre en retour que toutes les critiques sont légitimes. Laisser les plus débiles rappeurs reproduire leurs insanités ad libitum, mais ne pas se retenir dans la critique. Laisser Faurisson exposer ses théories, mais l’assaisonner avec méthode sur le terrain historique. Laisser Semi Keba affirmer que le premier homme sur la Lune fut un Noir (tout comme Galilée, Lao Tseu, Jésus Christ et Mahomet), mais le confronter à la réalité sans faiblir. En un mot, cesser d’agir par le tribunal et laisser les gens se mettre à penser, même les gens "ordinaires"(!).
Dans les quelques signes qu’on retient ordinairement pour montrer que la démocratie recule en Europe, on oublie trop souvent de noter cette défiance générale contre la parole. Si la démocratie est censée assurer les conditions de la parole et du débat, on ne peut regarder cette inflation de procès et de procédures vigilantes que comme un recul de l’idée de démocratie, comme un corsetage pénal qui vise à instaurer l’autocensure par la peur, à appauvrir le débat intellectuel (genre inutile qui ne rapporte pas d’argent) et à transformer le citoyen de demain en connard repu qui n’a même plus l’idée d’ouvrir sa gueule.

mercredi 3 juin 2009

Pour ton bien.


De la même façon que ne pas être raciste ne vous range pas automatiquement dans le camp des antiracistes, ne pas être fumeur ne vous oblige pas non plus à militer contre les fumeurs, ni vouloir leur vie (ben oui, quand on a un ennemi, on peut souhaiter sa mort, mais le fumeur cherchant inconsciemment à se tuer à petit feu, un anti-fumeur sera porté à lui souhaiter longue vie, pour le faire chier un max !). C’est mon cas. Je n’ai aucun goût pour la cigarette, mais j’ai d’autres chats à fouetter que les fumeurs. Bien sûr, je sais que la tabac n’est pas très sain pour la santé, mais enfin, la télévision non plus, le loto sportif non plus, la flexibilité du travail non plus, le tourisme massif non plus, le crédit à la consommation non plus, la musique antillaise non plus ! S’il fallait militer contre toutes les merdes dangereuses que la vie nous propose, autant se flinguer tout de suite.
Ceci dit, je n’ai rien contre une nouvelle campagne anti-tabac : en ces tristes temps, on ne crache pas sur une bonne occasion de rigoler. La dernière vaste campagne nous avait familiarisés avec ces messages dissuasifs, les « Fumer tue », les « Fumer provoque des maladies graves », les « Fumer nuit à votre entourage et à la couche d’ozone », les « Fumer vous fait la bite molle », etc. Ces messages, pondus par des experts de la com (rires), furent détournés dans l’instant même où le public les découvrit, tournés en ridicules et vidés de leur non-sens. En trois jours, la France entière se refila des histoires drôles à base de « Tuer tue », de « Puer pue » et autres « Glander glue », prouvant ainsi qu’à lancer des alarmes sur des dangers parfaitement connus depuis des lustres, on ne récolte que des nasardes. En outre, cet exemple donna un avertissement aux amoureux des mots, de la chose écrite (comme on dit sur France Inter), enfin à tous ceux qui croient au pouvoir du langage : la plupart des fumeurs continuent de fumer bien qu’ils aient en permanence sous les yeux un message clair les avertissant qu’ils vont claquer dans d’atroces souffrances ! Après 5000 ans de civilisation, après Descartes et le professeur Jacquard, on constate donc que le langage est impuissant à faire comprendre un truc simple à une bande de cons.

On nous annonce donc une nouvelle campagne anti-tabac, à grand renfort de vous allez voir ce que vous allez voir ! Des images choc ! des photos insoutenables ! des tableaux atroces ! Et on nous propose, en guise d’apéritif, la photo d’une dentition particulièrement écoeurante qui sera visible sur tous les paquets de clopes bientôt. Encore une fois, on cherche à faire fonctionner l’émotion au détriment de la raison. Puisque nous avons été incapables d’agir par raisonnement déductif avec la campagne précédente, on espère que le gros beurk que nous pousserons devant ces images sera plus productif. Assistera-t-on de nouveau au triomphe de la communication non verbale ? Tout porte à le croire.
Toutefois, n’ayant pas vu l’ensemble de la collection gore, je risque une remarque sur la seule qui soit disponible, celle des dents pourries. Et, au risque de passer pour un affreux rétrograde, je fais appel à la raison (oui), aux souvenirs, à l’expérience du lecteur. Lecteur, toi qui vit au milieu des hommes et qui les fréquente passionnément, toi qui compte de nombreux fumeurs parmi tes amis, tes voisins, tes frères et sœurs, dis-nous si tu en connais un seul qui exhibe de tels chicots ? Réfléchis bien avant de répondre (mon dieu, j’ai dit « réfléchis », n’y vais-je pas trop fort ?), crois-tu que le type dont on voit la salle à manger défoncée sur les paquets de clopes soit simplement un type qui fume ? Penses-tu qu’il existe un lien de cause à effet direct et unique entre les clopes et les dents HS de ce dégueulasse ? Dernière question : ne crois-tu pas qu’une fois de plus, les experts de la com (rires) se foutent de nous ?

mercredi 27 mai 2009

Droits sociaux : Modus Enculandi©


On nous l’a annoncé, la question du travail le dimanche va revenir devant les députés, probablement au mois de juillet, pendant qu’une partie de la France se fait chier au boulot, et que l’autre se fait chier sur les plages. Par le passé, j’ai déjà expliqué ce que je pense de cette Authentique Enculerie©, et n’étant pas membre d’un gouvernement démagogue, je n’ai aucune raison de changer d’avis. Dans l’ensemble des arguments présentés pour justifier cette mesure et la présenter comme un progrès (fuuuumiers !), le thème du volontariat est à la fois le plus grossier, le plus minable, le plus stupide et, comme de bien entendu, celui que les gens aiment le plus. Notons qu’après le travail le dimanche, la travail possible au delà de 65 ans et maintenant le travail pendant l’agonie, le volontariat semble être la seule idée de la droite pour changer le monde. Dans l’état d’errance intellectuelle et morale où se trouve la population active dans ce pays, certains voient dans le volontariat au boulot une promesse valable, un avenir possible, une hypothèse honnête (je sais, c’est dur à croire). Heureusement, pour ouvrir les yeux à ces naïfs infantilisés, un homme se dresse et s’impose : Frédéric Lefebvre !
Vous l’avez tous vu, entendu, écouté et détesté. Il est comme ça, il ne cherche pas à se faire des amis : il en a déjà un. Il dit les choses comme il les pense, et ce qui serait une qualité dans un monde idéal devient avec lui une abomination comico dantesque. Faire le tour de ses défauts nous entraînerait trop loin, et vu le prix des transports, nous coûterait la peau du front. Contentons-nous donc de sa dernière idée, directement en rapport avec le sujet évoqué ci-dessus. Sa dernière idée, c’est l’amorce de la généralisation du principe du volontariat dans le code du travail, ni plus, ni moins. Il propose en effet que les gens qui le souhaitent puissent continuer de travailler (chez eux) quand ils sont en congé maternité et/ou en congé de maladie. Quand des imbéciles pensent que le volontariat peut être jouable pour travailler le dimanche, et que nul patron ne forcera jamais un salarié à s’y mettre, ils doivent logiquement appliquer cet angélisme à la question de travailler pendant qu’on est en congé maladie. Or là, ça semble plus délicat … Même le gouvernement de Fillon trouve ça plus délicat. Pourquoi ?


On a prétendu que le volontariat de quelques uns (les fameux Français qui souhaitent travailler le dimanche) ne ferait aucune concurrence à l’abstention des autres (ceux qui veulent continuer à disposer d’un temps commun pour la Glande) et ne mettrait pas ces derniers dans l’obligation de suivre le mouvement. On nous a donc promis plus de liberté, comme toujours. Là, c’est pareil : si on est malade mais volontaire pour bosser, on aurait le droit de le faire. Parfait, moderne, efficace, pragmatique. Mais alors, pourquoi le gouvernement condamne-t-il ce projet ? Pourquoi Lefebvre se fait-il rembarrer par son propre camp ? Parce que tout le monde sait que ce genre de volontariat peut devenir un moyen de pression énorme sur les salariés, et qu’une fois l’habitude prise, il deviendra très difficile de refuser d’être volontaire. Et personne n’a encore assez de culot pour fusiller les droits aux congés maladie /maternité en pleine lumière, à part l'Attila du Code du Travail.
Jusqu’à preuve du contraire, la France demeure le pays de Descartes. Il est donc à prévoir que le gouvernement qui condamne le volontariat pour les congés maladie / maternité, condamnera logiquement le même principe, quand il est appliqué au travail dominical. Victoire !

lundi 25 mai 2009

Les cons passent à table.


La fête des voisins (opération « immeubles en fête ») est ce qui se fait de plus réac en matière de fête. Réac au mauvais sens du terme (car je prétend que ce terme a au moins deux sens), c'est-à-dire réac tendance pétainiste. Le réac de tendance pétainiste, ce n'est plus la collaboration avec l’envahisseur ni le statut des Juifs,. Non, nous sommes en 2009 et tout change, même le pétainisme !
Immeubles en fête, c’est l’opération qui consiste à inciter « les gens » à organiser des repas ou des apéros avec leurs voisins, dont le connard du dessus et la bourgeoise à Smart qui n’a pas dit une seule fois bonjour à un voisin depuis les grèves pour l’école libre, en 1984. Vaste et ambitieux programme. Lecteur urbain et misanthrope, imagine que tu aies à partager de la mortadelle avec la grosse conne qui laisse son chien aboyer à deux heures du mat, que tu doives servir le verre de l’amitié au maniaque qui envoie douze lettres de récrimination par mois au syndic de copropriété : immeubles en fête, c’est ça. Bien entendu, ça ne suffit pas pour qualifier de pétainiste une opération, fût-elle festive.
Quand on eu la chance d’habiter dans des quartiers très différents les uns des autres, on se rend compte de quelques constantes valables sous toutes les latitudes, à toutes les époques et de toute éternité. Premièrement, plus le niveau de revenus des habitants d’un quartier s’élève, moins ils sont sympathiques. Polis, oui, quelquefois, mais sympathiques, jamais ! Dans un quartier embourgeoisé (ou pire : rupin), il faut s’arranger pour ne jamais avoir besoin de ses voisins, ce qui revient à dire qu’il ne faut pas les déranger. Que ce soit pour une garde d’enfant impromptue, une panne de bagnole, un tire-bouchon cassé, un canapé convertible à descendre par l’escalier ou tout autre petit embarras de la vie quotidienne, il n’est pas question de demander à ses voisins de compatir, de supporter du bruit, et je te parle même pas d’un coup de main ! Il semble que l’Humanité se soit donné un mal fou pour arriver à ce stade ultime de développement où le confort personnel et la quiétude totale sont les deux règles d’airain qu’on ne transige sous aucun prétexte. Dans un quartier bourgeois, les archaïques Dix commandements sont remplacés par un seul : « Tu ne dérangeras jamais tes voisins ». Immeubles en fête dans ce contexte, c’est comme saupoudrer un catafalque de confettis.
Dans un quartier fauché (ne parlons pas de quartier « ouvrier », la fermeture accélérée des usines tendant à faire disparaître cette catégorie professionnelle comme neige en Floride), c’est l’inverse qui prévaut. Si l’on n’y est pas totalement hostile à l’idée de confort personnel, tout indique que ce confort doit obligatoirement être ostensible et, quand c’est un confort vraiment moderne, bruyant. Bien sûr, il y a ce con qui utilise chaque jour de l’année sa perceuse, quelque part dans les étages supérieurs (à moins que ce soit les étages inférieurs, on ne sait), ou qui semble taper sur les tuyauteries avec un petit marteau, exprès pour que le bruit se propage… Bien sûr, il y a ce couple affreux qui se traite de tous les noms chaque matin et chaque soir (la journée, on n’est pas là) et dont les mômes sont de parfaites têtes à claques. Bien sûr, il y a cette poissonnière qui conversationne à minuit avec ses copines depuis la fenêtre du sixième, et qui se plaint auprès d’elles de ses déboires sexuels de boîte de nuit, c’est clair j’veux dire. Evidemment, il y a ces dix imbéciles qui magouillent comme des porcs pour s’acheter des BMW décapotables avec lesquelles ils font le tour du pâté de maisons huit heures par jour. On connaît tout ça, mais le caractère prioritaire de l’habitant de ces quartiers, qui unifie tous les comportements, c’est avant tout qu’il doit être bruyant. Une télévision géante fonctionne toute la journée, fort, et une bonne partie de la nuit (surtout quand on s’endort devant). Une réunion de famille se ponctue d’une volée de décibels, aidée par le molosse qui aboie chaque fois que personne ne passe devant la porte du palier. Un match de foot (ou un Tour de France, c’est pareil, mais avec des vélos) s’écoute fenêtre ouvertes. Par la grâce des cloisons hyperminces, une chasse d’eau devient un niagara, à peine couvert par le bruit de l’ascenseur qui s’arrête à l’étage. Sont-ce ces bruits omniprésents qui arrosent égalitairement les habitants de leur impérieuse voix ? Toujours est-il qu’on assiste à un nivellement des conditions et, partant, à une plus grande proximité humaine. Un peu comme la solidarité des tranchées rapprochait les Poilus entre eux, celle des conduits auditifs soude les voisins autour d’une souffrance commune. De là les signes de solidarité qu’on y rencontre encore, et qu’un changement de statut social rendraient impossibles.


Ce n’est pas pour cela que la fête des voisins est fondamentalement réac (option Pétain), mais c’est dans ce contexte qu’elle sévit. L’idée de départ est de renouer du lien social, de promouvoir le vivre ensemble ou d’adopter une démarche citoyenne dans un contexte urbain (ou une autre formule obscène de la même farine). L’idée est, en somme, le temps d’une journée, de revivre la vie d’avant, celle des films populaires des années quarante, avec son brassage des conditions et des âges, de retransformer les villes en villages et de faire comme s’il était possible que des gens d’un même quartier se sentent d’un même quartier. Or les villes n’ont pas été construites par des urbanistes soucieux de revivre le passé artificiellement. Elles ont été bâties autour de l’activité humaine : le travail. C’est parce que les gens travaillaient et habitaient au même endroit qu’ils pouvaient se connaître, s’apprécier ou se détester, s’aimer, se fréquenter, s’épouser. La structure de la société, celle de l’économie et celle des villes permettaient que des gens partagent un territoire géographique. C’est dans ce cadre, et uniquement dans ce cadre, que des échanges peuvent s’opérer (nous les appelons « humains » avec un respect superstitieux, comme des collectionneurs fascinés contemplent un vieux travail d’orfèvrerie) et que des notions de solidarité prennent un sens. On vit ensemble, on travaille ensemble, on souffre ensemble, on forme un groupe, on peut donc être solidaires des autres, etc. Notre époque a permis que chaque habitant d’un quartier, ou presque, passe deux heures dans les transports en commun pour aller travailler à dache : les conséquences sont logiques, impitoyables et parfaitement universelles. Quand on prend son RER et qu’on va travailler à soixante bornes de son quartier, il est IMPOSSIBLE de rien lier avec qui que ce soit. On en arrive à mieux connaître les collègues de bureau que ses propres voisins du dessus, et c’est bien naturel. L’intégration dans une communauté, qu’elle soit de quartier ou nationale, ça passe par le boulot, et c’est marre. Tout le reste, absolument tout le reste n’est que bavardage. Rien ne peut se faire sans ça, et tout en découle. Le travail ne pourvoit sans doute pas à tout, mais c’est un préalable incontournable. Si l’on travaille dans son quartier, on arrivera à connaître tout le monde, y compris les concurrents, on y trouvera sa place et sa vie.
Le pétainisme ici, ça consiste à se faire une image idyllique du passé, avec ses bonnes odeurs et ses voisins toujours prêts à l’entraide, à nier le monde dans lequel nous vivons (et qui engendre la dureté des rapports entre les gens, voire la totale indifférence, voire la haine, dans la plus grande logique) et à tenter de faire comme si, se contenter d’une mascarade. Dans la France de 2009, participer à « immeubles en fête », d’un point de vue intellectuel, c’est comme espérer le retour de la monarchie ou l’unité de l’Eglise.
La réaction se porte bien, elle fait la fête dans la cage d’escaliers.

mardi 12 mai 2009

Le dernier jour (2/ 2)


Depuis des temps que la mémoire ignore, les gens de ce pays tiraient la plus grande fierté de leur condition. Nul n’est connu pour avoir nié à l’Arbre sa place dans la vie de l’homme. Personne n’a estimé utile d’aller vivre dans un pays voisin pour être plus heureux. On sait pourtant que les étrangers ont toujours regardé ce coin du monde comme une anomalie, une exception de l’excès qu’un être normal ne peut envisager qu’avec dégoût. Comment, à notre époque, vivre en dépendance des caprices d’un végétal qu’une aberration incontrôlée nourrit en dépit de toute mesure? Surtout, ce qui ne fut jamais compris, c’est cette admiration pour l’incongru, ce pacte avec l’irrationnel qui désignerait les peuples les moins mûrs. Ce mépris sauva le pays pendant des siècles.
Quand les premiers Avnigotes s’installèrent, personne parmi les Aubrants ne songea à les chasser, ni même à leur refuser le droit de vivre où bon leur semblait. Qu’importait que ce coin de terre fût cultivé par eux ou par d’autres puisque la terre était généreuse pour tous? Mais les Avnigotes étaient les fils d’une autre civilisation, d’un pays où ce que l’on possède doit être durement gagné.
Les choses les moins nobles ont parfois la qualité paradoxale d’attirer l’intérêt des gens, et les plus viles idées profitent toujours de cette facilité. Sans qu’ils ne fissent jamais rien contre leur nouveau pays, les Avnigotes ne pouvaient s’empêcher de montrer, par leur façon de vivre et leur indifférence à l’Arbre, qu’ils ne partageaient pas les mêmes sentiments que leurs hôtes. Leur commerce s’inspirait d’autres règles. Leurs affaires prospérèrent tellement que tous repartirent un jour ou l’autre dans leur patrie. L’exemple qu’ils avaient donné aux Aubrants fit de profondes brèches dans ce que chacun croyait immuable.
Il faut dire que l’Arbre n’avait jamais rien refusé aux hommes : depuis les plus anciennes générations, il avait offert son bois mort pour réchauffer la vie, et si l’on venait parfois lui prendre quelques vifs rameaux, rien n’avait indiqué qu’il pût en être affecté.

Un jour, à l’occasion d’un conseil que tenaient les habitants du Vallonpré, quelqu’un fit remarquer le chemin qu’il devait parcourir pour aller jusqu’à ses champs près de Mignevarre, et il prononça cette phrase :

Si l’Arbre n’était pas là, je gagnerais aisément deux jours de trajet.

Personne ne fit vraiment attention à ce qui venait d’être dit car on ne compris pas du tout ce que pouvait signifier ce genre de langage. Cette idée tomba dans l’oubli instantanément, puisque personne ne pouvait en saisir le sens.
L’on convint depuis que ce jour marqua le commencement de la réforme, mais il a fallu bien des choses encore pour que l’on prenne conscience de l’enchaînement des événements qui vont suivre.
L’idée fit son chemin, au point que les plus hautes autorités du pays en délibérèrent au grand conseil de l’An qui suit de dix jours l’arrivée des premiers bourgeons. Un nombre toujours plus grand de citoyens parlaient de faire dans l’Arbre de vastes saignées pour éviter d’avoir à contourner sa masse énorme. Que pouvaient bien faire quelques coupes à ce titan d’éternité dont la vitalité n’avait pas d’égale au monde? Les partisans de cette chirurgie grandiose utilisèrent un argument qui fit beaucoup d’effet :

Que chacun réfléchisse!

Cet appel à la raison s’opposait bien sûr aux lourdes arguties de ceux qui ne voulaient rien entendre et qui perdirent la sympathie des foules par leur attitude intransigeante. Il leur manquait, pour qu’on pût leur donner raison, l’art de présenter les choses de manière plaisante. Un homme se vit particulièrement ridiculisé par la prétention qu’il affichait de prédire que tout finirait si l’on touchait à l’Arbre
Que chacun réfléchisse! Vouloir aménager l’Arbre en fonction de l’homme ne signifiait pas qu’on voulût sa disparition ni que demain, un monde sans lui fût possible. Les échanges d’avis, puis d’insultes, qui retentirent alors marquèrent un changement très brutal d’avec les anciennes habitudes de courtoisie dont soudain nul ne se souvenait.
C’est du peuple que vint la solution. On s’entendit pour recueillir l’opinion de chaque Aubrant en âge de s’exprimer, et pour respecter cette commune volonté, quelle qu’elle fût.
La nuit qui précéda l’annonce de la décision, quatre familles de Falangola disparurent : personne n’ignorait ce qu’elles étaient devenues mais l’on n’en parla jamais. Quand l’heure fut venue, il parut naturel à tous de se retrouver à l’Enfrouâlne, près de la roche du Feu. C’était le lieu d’où partaient traditionnellement toutes les processions et c’est dans la chapelle qui s’y trouve que l’on baptisait les enfants. Les Sages chargés d’annoncer l’avenir étaient pris d’une lenteur inouïe : on eût cru qu’ils retenaient volontairement chacun de leurs gestes. Il y eu un moment assez bref mais qui parut immense, où le silence le plus complet se fit. Vêtu de ses habits d’apparat si simples mais qui le nimbaient d’une aura si puissante, une sorte de lourdeur, le Grand Consul annonça que le peuple avait choisit : l’Arbre serait amputé. En conséquence, les travaux gigantesques commenceraient après les fêtes du printemps.
Si j’ai dit l’histoire de l’Arbre au passé, c’est que tout ce que je viens d’écrire appartient à un monde qui n’est plus. Mais je ne puis dire avec certitude si c’est parce que l’Arbre a cessé d’exister ou si c’est moi qui suis mort.

Fin.



Le dernier jour (1/ 2)


Dans ce pays, la forêt consistait en un seul arbre, incroyablement démesuré, qui trônait dans le lieu dit l’Enfrouâlne, depuis le val d’Argual jusqu’aux lisières escarpées du plateau des Gueux. Là, ce que nous appelions arbre n’avait rien de commun avec ce que vous connaissez : sa taille proprement dite valait celle d’un bon tiers du pays. Le tronc lui-même n’avait pu être mesuré avec précision puisqu’il se composait de centaines et de centaines et de centaines de centaines de ramifications de troncs d’arbres vivants ou morts, unis là pour l’édification de l’objet naturel le plus formidable que l’on puisse concevoir. Vous dire exactement à quelle famille il appartenait m’est impossible: vous ne comprendriez pas un mot du charabia époustouflant inventé pour nommer dignement ce géant. Sachez seulement qu’on disait là bas qu’il avait réussi la fusion, la synthèse des essences, l’harmonie végétale dans l’anarchie.
La vérité m’oblige à préciser que les savants ne montrèrent jamais d’intérêt pour ce phénomène et que beaucoup doutent encore aujourd’hui qu’il ait existé. Sortir à ce point des règles qu’il a fallu des siècles pour élaborer n’est pas toujours suffisant pour qu’on se penche sur vous.
Pour désigner le feuillage du colosse, les habitants du pays utilisaient un mot regroupant les sens de forêt, de mer, de montagne et de voûte céleste : la Houtée. L’océan n’a pas, dans ses moments de furie, de hurlement plus haut que celui de la Houtée quand le vent se déchaîne. On eut dit le vacarme de la lutte de l’Arbre contre le souffle de Dieu.
La Houtée était une somme, une matrice luxuriante où se préparait tout ce qui était amené à vivre d’une année sur l’autre dans les vastes parages de l’Arbre. Tout ce que la langue compte de couleurs était contenu dans ses feuilles. Ses fruits étaient si abondants que personne ne leur accordait de prix, bien que chacun en connût la valeur. Comme la vie se nourrit de la mort, ses branches donnaient chaque saison plus de bourgeons, plus de graines, plus de fruits, plus de feuilles, et tout ce qui tombait engraissait à son tour la terre pour que ce prodige continuât. La variété des verts en plein été était un spectacle étourdissant qu’on ne conseillait pas aux âmes tièdes : la vigueur de son effet, l’immense souffle de vie que sa seule vue répandait avaient maintes fois entraîné de pauvres diables trop loin pour leurs forces, semant le chagrin, le malheur ou le ridicule sur des lignées paisibles.
Il y a deux siècles encore, la période qui va du 20 octobre au 15 novembre était partiellement chômée, afin que chacun pût rendre à l’Arbre finissant l’hommage religieux qu’aucune église ne contestait : les journées et les nuits étaient alors rythmées de processions, de chants sacrés où l’on disait sa reconnaissance à l’Arbre, mâle et femelle de l’Origine, gardien et mère nourricière, et où la piété était semblable à celle que l’on doit à ce qu’il y a de plus haut. Le peuple trouvait dans ses plus nobles ressources ce qui l’élevait le plus, et c’était un festival de joutes, d’improvisations épiques ou amusantes, suppliantes ou contemplatives, de scènes burlesques mimant la vie simple des hommes, de confessions où se voyait la profondeur de leur respect.

Le feu que l’automne mettait dans la chevelure de l’Arbre passait au coeur des gens par une filiation surnaturelle. Pour finir l’année commencée dans la joie d’un invincible printemps, la Houtée s’embrasait pour donner au monde le signal de sa fin, comme un phare guide l’homme quand il abandonne tout. L’automne scandait les années. Personne ne pouvait continuer à vivre normalement quand tombait la dernière feuille de l’Arbre, et qu’il sombrait dans la noirceur.
Les Arbrennes, qui vécurent il y a des millénaires, étaient installés dans la Houtée de façon perpétuelle et personne n’a pu prouver qu’ils foulèrent jamais la terre ferme. Ce peuple naissait, vivait et mourrait dans les labyrinthes de branchages emmêlés où il trouvait autant de plaisirs, de bienfaits et de dangers que nous autres ici-bas. Nul ne sait s’ils se sont éteints ou s’ils ont continué de vivre dans la Houtée, parmi ses branches les plus inconnues. Nul ne peut dire si les habitants modernes du pays étaient leurs descendants ou si leur race s’est éteinte avec eux. Ils leur ont au moins transmis leur nom quelque peu modifié : les Aubrants. On m’a montré un exemple de ce que l’on tient pour leur art le plus sacré : c’est une sculpture polygonale où l’on ne voit que des lignes droites, coupées et tranchantes comme la dent du tigre.
Par le jeu quotidien du soleil dans le ciel, l’Arbre balayait de son ombre des prairies entières, des vallons, des étangs, des bourgs, des collines, des champs à perte de vue. Le pays connaissait donc ce phénomène unique de la double nuit, celle, traditionnelle, de l’effacement du soleil derrière l’horizon, et celle de l’entremise absolue de l’Arbre entre l’astre et le sol. L’heure du midi mise à part, on ne comptait jamais quelque lieu où la nuit de l’Arbre ne fût installée. La coutume avait permis aux gens de compter ce temps de nuit de l’Arbre comme une nuit ordinaire, si bien que les jours en furent multipliés par deux, ainsi que l’âge de tous les êtres vivants. Vivre jusqu’à 170 ans n’était donc pas quelque chose qui vous faisait regarder ici comme un vestige sacré. L’Arbre épandait sur les terres une nuit si profonde que tout bruit cessait aussitôt. Quelques nyctalopes paraissaient en mesure de faire face au néant mais personne jamais n’a pu voir de ses yeux ce spectacle improbable. Dès que brillait le soleil, même en ses jours les plus pâles, chacun besognait avec une vigueur étonnante qui voulait compenser ce qu’on ne pouvait faire les heures de grande nuit, et quand la lune ajoutait aux étoiles sa clarté métallique, bien du monde continuait l’ouvrage, comme en plein midi.

A suivre