lundi 12 décembre 2011

L'art arme

Un an avant sa mort, William Burroughs se prête à l’un de ses exercices préférés : tirer des coups de feu. On le voit ici mitrailler le portrait de Shakespeare, scène pleine de sens pour celui qui connaît le projet global de Burroughs, son combat contre les mots et son rôle de grand bousilleur de la prose classique. D’ailleurs, les comparses du vieux Bill se moquent gentiment de lui quand il s’approche du portrait, lui assurant qu’il ne peut pas rater son coup à une telle distance ! Ce qu’ils n’ont pas prévu, ces couillons, c’est que Burroughs fasse un duel avec la légende. Il se place alors dos à la cible, fait sept pas en avant et lui décharge son feu sur la gueule. C’est ainsi que les génies doivent traiter les génies du passé. Face à face.

Evidemment, les amateurs d’analyse pseudo freudiennes peuvent y aller de leurs remarques sur ce meurtre du père si particulier. J’y verrais plutôt un geste à la Rauschenberg, quand il effaça un dessin de de Kooning en 1953.

Au-delà de la scène elle-même, on peut se demander si l’on trouverait encore un écrivain français pour se montrer dans une telle situation : l’arme au poing… Dans le concert de jérémiades qu’est devenu la littérature dans sa presque totalité, dans cette exposition permanente de petits Moi souffrant de bobos divers, dans cette course à la déprime récompensée par le Marché et ce concours général de bons sentiments non violents, y a-t-il encore une place pour ce genre de monstre ?